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Vivons-nous à Maurice sous un régime politique démocratique ou autoritaire ?

À notre sens, par les temps qui courent, la question mérite pleinement d’être posée.

En effet, nous avons appris il y a quelques jours par le Economist Intelligence Unit (EIU) de Londres, émanation de The Economist chargé d’études et de recherche pour le compte de ce magazine, que l’île Maurice est le seul pays d’Afrique classé comme « full democracy ». 

Si tel est bien le cas, l’on peut affirmer sans aucun risque de se tromper que ce supposé « full democracy » comporte bien des lacunes, dont certaines sont très graves.

Essayons donc de caractériser le visage politique que présente Maurice aujourd’hui, en nous penchant sur les différents aspects de la vie de la société, soit les domaines constitutionnel, politique, économique, social, moral, juridique, culturel, éducatif, environnemental, sécuritaire et des médias, entre autres.

Avant de commencer, rappelons toutefois au lecteur que la recherche à dimension sociologie et les enquêtes ne sont pas courantes dans l’île, ce qui est vraiment pénalisant, et que l’appréciation que l’on peut avoir des changements intervenus depuis 1948 (élections à l’issue desquelles le groupe hindou s’est imposé sur le plan législatif et, rapidement après, sur le plan exécutif) ne provient souvent que de l’observation directe des faits et des comportements, ce qui constitue parfois un risque de subjectivité.

Ceci étant dit, pour ceux d’entre nous qui avons eu pour ainsi dire le privilège de voir évoluer la société mauricienne depuis le début des années 1950, l’attestation des changements sociaux intervenus au cours des 70 dernières années peut s’effectuer avec un certain degré de précision.

Rappelons quand même, avant de le faire, un élément important et vérifié qui se manifeste chez les composantes de toute société multiculturelle : la perception qu’un observateur donné peut avoir des situations qu’il analyse et des comportements des membres des groupes autres que le sien est fortement tributaire et dépendante de son origine et du groupe dans lequel il évolue habituellement. Ce fait sociologique est connu : nos perceptions, nos comportements et nos valeurs sont toujours liés à la culture à laquelle on appartient, ainsi qu’au passé dont on est issu.   

Dans nos chroniques à venir, nous nous livrerons à un examen détaillé des composantes de notre société, ainsi que nous les avons listées ci-dessus. Nous nous limitons pour la présente chronique à un rapide survol de la situation, que nous synthétisons pour un confort de lecture.

Commençons par une remarque brève concernant notre Constitution, notre loi suprême. Celle-ci a maintenant montré ses énormes lacunes et ses profonds déséquilibres, et peut-être avant tout la possibilité qu’elle donne aux deux familles qui nous gouvernent, de la manière qu’elles le font, depuis la fin des années 1940, de cadenasser tout le système, tant les contre-pouvoirs sont faibles.

Par ailleurs, si l’on prend les progrès de Maurice dans leur globalité, l’on peut faire remarquer que le secteur économique est à peu près la seule composante de la société mauricienne pour laquelle on peut prétendre à établir un bilan positif, et encore… Tous les autres secteurs montrent soit des résultats nuancés pour un ou deux d’entre eux, soit une nette dégradation.

Analysons maintenant les résultats sur le plan sectoriel, en commençant par l’économie. En guise d’introduction, faisons les remarques suivantes. En Europe, l’on a créé depuis quelques décennies le terme « économisme », qui désigne un système de pensée et d’analyse qui a tendance à expliquer l’évolution d’une société (même les idées et les valeurs qui y prévalent) uniquement à partir de facteurs économiques. Il est souvent employé pour illustrer une vision purement économique de la société, dans une perspective forcément réductionniste, avec une présentation tout à fait artificielle des hommes et de la société. La performance d’homo economicus explique tout, semble-t-il. 

Pour ceux qui vantent Maurice, l’économisme est à l’œuvre, alors même que le bilan économique est mitigé (que l’on examine la balance commerciale du pays et la dette nationale pour s’en convaincre). De plus, ce bilan se situe largement au-dessous de ce qu’il aurait pu être si la gestion de ce secteur avait été faite de manière courageuse et intelligente. Cela, personne ne le fait jamais ressortir.

Ce qui est encore plus préoccupant, c’est qu’avec l’économisme, qui est envahissant, l’on peine à attirer l’attention et à examiner les graves problèmes qui se présentent ailleurs dans la société mauricienne.

  • Sur le plan politique, les limites ont été atteintes. Le par-devant de la scène est encore et toujours occupé par une génération de politiciens qui la sature sans arrêt. Pas d’orientations précises en matière de développement, pas de stratégies clairement définies et suivies (par ex., pour ‘monter’, faut-il 3, 4 ou 5 ‘credits’ ? – le saura-t-on un jour ?), pas de débats d’idées, pas de véritables débats tout court, pas de tentatives déclarées et officielles d’éradiquer la corruption, le trafic d’influence et les différents trafics, concentration du pouvoir (domination du parti politique, du groupe législatif et de l’exécutif par une seule personne physique), opacité des dossiers, etc.
  • Sur le plan social, malgré une légère progression des comportements traduisant un rapprochement entre les communautés et une certaine perméabilité aux autres, les groupes de pression sont toujours à l’œuvre. Ainsi, les politiciens continuent à se mêler du fait religieux : le financement des religions force les têtes de plusieurs croyances et panthéismes à se taire devant le maintien des intérêts que défendent fortement les représentants de certaines communautés. Le bien commun est un concept encore parfaitement abstrait à Maurice.
  • Quant à la moralité publique, elle est en état de décomposition avancée. À quoi s’attendre, de toute façon, de la part de leaders connus pour leur renoncement de toujours à tenter de restreindre l’immoralité, sous ses différentes formes. L’un demandait à l’époque à ses interlocuteurs, pour se disculper de ses propres agissements condamnables « Ou capav ampess dévlopmen coquin, ou ? ». L’autre a avoué une fois que « les valeurs morales ne permettent pas à l’homme de se nourrir ». L’histoire veut même qu’un ancien ministre des Finances ait dit un jour à un membre du public qui sollicitait son aide ‘Alle gagne to lavie dans la douane ». Tout est dit, n’est-ce pas ?
  • La gestion de l’environnement est un véritable désastre à Maurice. Lorsqu’on est bourru et que l’on n’a pas une idée, même élémentaire, de ce qu’est la propreté, l’esthétique, la protection des espaces naturels aménagés et la sauvegarde ainsi que l’entretien des lieux publics et des composantes du patrimoine, l’on transforme l’île en dépotoir, comme le disait récemment un Mauricien retourné au pays, ce qui est malheureusement vrai. Les Mauriciens qui ont encore le souci – et les moyens – de vivre dans un entourage propre sont obligés de se regrouper dans des « poches » d’habitations, et sont presque toujours confrontés à de la crasse dès qu’ils quittent l’enceinte de leur complexe résidentiel.
  • Nous reviendrons bientôt sur les autres secteurs que nous avons évoqués, un à un. Dans l’intervalle, nous souhaitons bonne chance aux promoteurs du tourisme mauricien et aux gestionnaires des différents services afférents à l’accueil d’étrangers en séjour à Maurice. L’avenir s’annonce difficile avec une destination qui s’enlaidit continuellement et qui, disons-le franchement, n’a pas beaucoup d’attractions à offrir au départ (et à l’arrivée).

Qui est responsable de cette situation globale pénible que doit affronter l’île Maurice ?

À notre avis, fondamentalement pas les politiciens, mais bien ceux qui les portent au pouvoir, en d’autres mots l’électorat. Une simple analyse comparative des démocraties (supposées et réelles) que l’on trouve ailleurs dans le monde montre très clairement que leur niveau dépend étroitement de la capacité des populations qui les composent à s’éduquer, à développer un esprit critique, à agir de manière éthique et équilibrée, et à réagir en face des atteintes à leur système.

En prenant du recul par rapport à la situation courante à Maurice, l’on ne peut s’empêcher de penser que nous sommes encore bloqués dans une société de type moyenâgeux. Pour utiliser la dérision à titre exceptionnel (comme le fait un chroniqueur dans une revue connue en France), disons qu’une partie encore majoritaire de l’électorat mauricien reste composée d’ ’analphacons’ et d’ ’analphabêtes’ (vous remarquerez l’utilisation de l’accent circonflexe et non pas de l’accent grave sur le ‘e’ d’analphabête).

Selon ce même chroniqueur, l’analphacon est un cas désespéré : il est né con, et il n’a aucune possibilité d’évoluer. Par contre, il est possible de faire s’améliorer l’analphabête en l’exposant à certains éléments pouvant l’aider à prendre conscience et à voir ce qui doit être vu, de développer ses facultés d’analyse et d’agir de manière responsable et tant soi peu éclairée.

L’électorat de Maurice a certes évolué quelque peu au cours des dernières décennies, mais dans sa majorité il est toujours enfermé dans des conceptions et des absences de réactions qui font stagner toute la société mauricienne. Est-il exagéré ou impertinent de prétendre et de faire remarquer que les politiciens locaux ne font pas grand-chose pour aider les habitants de l’île à voir ce qui doit être vu, notamment par l’acquisition de plus de dignité, d’amour-propre, d’ambitions et de valeurs ? Est-ce que le gouvernement actuel ou le prochain serait disposé à mettre sur pied dans le pays un organisme doté de pleins pouvoirs pour faire avancer la transparence dans le pays, composé d’une équipe de personnes capables, intègres et (surtout) neutres ?

De retour au pays après un déplacement en Europe accompagné de son épouse, devenue pour l’occasion membre de la délégation officielle de Maurice avec des frais de voyage payés par le contribuable mauricien à partir de de fonds publics, Aneerood Jugnauth a déclaré avec cynisme, lors d’une interview avec la presse qui le questionnait à ce sujet, que « Sa, se mo problem ». Son fils, Premier ministre de l’île Maurice, a endossé tout de suite après la dépense de son père « mentor ». Et tous les politiciens autour du mentor ont alors ri, et le spectacle est devenu ubuesque. Voilà Maurice, dans son indicible laideur !!

Un tel agissement doit être condamné, juridiquement. Aneerood Jugnauth peut être traduit devant une cour de justice à Maurice pour abus de pouvoir et abus de biens publics. Mais, qui oserait se constituer partie civile et présenter cette affaire à un tribunal ? Même pas ceux qui prétendent représenter le quatrième pouvoir dans le pays. À ce train, l’autoritarisme est derrière la porte, car la voie est laissée totalement libre pour ces gens qui se considèrent « enn tigit plis pitit ki bondie » !  

Cet exemple de décadence de la démocratie est peut-être un cas extrême, mais l’on sait que les atteintes au mérite, aux efforts, à l’intégrité, au respect de l’autre, aux valeurs communes (pour essentielles qu’elles soient), à la bonne marche des institutions, à la prise des responsabilités et aux actions désintéressées sont devenues courantes à Maurice, et qu’elles sont certainement beaucoup plus nombreuses, toutes proportions gardées, qu’elles ne l’étaient au moment de l’indépendance. Certains qualifieront cela de progrès !

Avant de terminer, revenons au rapport du Economic Intelligence Unit. Il explique en détail la façon dont cette instance a procédé pour établir un indice, avant de fixer des seuils et des plafonds de performance pour classer les pays en différents groupes. Comme toujours dans ce genre d’exercice, le résultat est assez schématique, et il faut en prendre et en laisser.

Le ‘bottom line’, c’est que parmi les cinq composantes de l’indice se trouve le critère ‘political culture’ (qui « assesses the population’s perceptions of democracy »), et que Maurice se voit attribuer une note de 8,75 sur 10,00 pour ce même critère. C’est tellement faux que ça ne mérite même pas un commentaire. Heureusement que le rapport ajoute de manière appropriée : « A culture of passivity and apathy – an obedient and docile citizenry – is not consistent with democracy ».

Un juriste mauricien bien connu a déclaré il n’y a pas longtemps que la démocratie fait partie de l’ADN des Mauriciens. Il a oublié d’ajouter que cet ADN est assez particulier, et qu’on peut le décrire simplement comme « to mem papa, to mem mama ».

Pour les gens objectifs, l’île est au mieux un « flawed democracy » (un système démocratique vicié). Et au train où vont les choses, la forme d’autoritarisme qui a prévalu au début des années 1970 suite aux actions conjointes de Seewoosagur Ramgoolam et de Gaëtan Duval – renvoi d’élections, censure de la presse et mesures arbitraires – risque bien de faire sa réapparition sous d’autres formes.

 

A. Jean-Claude Montocchio