Chers compatriotes,

Dans le bilan comptable de cinquante années d’indépendance, il y a deux ou trois « postes » qui illustrent la défaite de la démocratie chez nous. C’est Platon qui disait que « la démocratie n’est possible que dans un État peuplé de dieux » (« dieux » voulant dire des personnes très bien munies sur le plan intellectuel). C’est la raison pour laquelle il préférait le système politique de « l’aristocratie » (où le savoir et la raison de l’élite dominent »).

L’une de nos grandes défaites à Maurice est celle de la moralité personnelle et publique. La dégradation des faibles et peu nombreuses valeurs que nous entretenions avant l’indépendance a été constante depuis 1968, et nous sommes maintenant arrivés au stade où les politiciens en vue n’essayent même plus de cacher certaines de leurs actions, mesures et abus de pouvoir. Pour obtenir une liste non exhaustive de ces actes qui devraient, dans un pays normal, conduire à des sanctions, consultez les écrits de Touria Prayag, l’une des rares journalistes de la presse écrite qui semble bien être capable et résolue de s’exprimer avec courage et lucidité, sans se courber aux exigences du langage politiquement correct, dont la contribution à notre déchéance a été majeure.

Cette faiblesse de notre démocratie est évidemment due à des facteurs bien précis. Examinons-les :

  • L’origine modeste de la majeure partie de ceux venus s’installer à Maurice. Lorsqu’on n’a pas beaucoup de moyens ou si la culture à laquelle on appartient ne favorise pas nécessairement l’introspection, la pensée réflexive et le sens critique, il est difficile de sortir de la dépendance morale et intellectuelle de ceux qui agencent leur comportement précisément pour tirer parti de cette faiblesse ;
  • Les valeurs morales n’ont pas le même poids dans les différentes cultures. Les études, par exemple, montrent clairement que la mentalité du « to mem papa, to mem mama » est encore très présente dans la classe laborieuses à Maurice. Dans de tels contextes, prendre du recul et se bâtir un sens critique est difficile ;
  • Nous vivons dans une société fortement inégalitaire, dans laquelle les moyens nécessaires à une éducation personnelle voulue par soi-même sont souvent inexistants ou très faibles ;
  • Et de loin le facteur le plus important a été depuis l’origine la démission des politiciens envers la prise de conscience des citoyens vis-à-vis de leurs libertés et de leurs responsabilités. Aucun des Premiers ministres de Maurice depuis l’indépendance n’a soulevé le petit doigt pour mettre sur pied des instances de sensibilisation, de responsabilité et de devoir de contribution du peuple à ses devoirs envers le pays. Tout n’a tourné qu’autour de considérations bassement matérielles et, si elles sont importantes, elles sont bien loin d’être les seules qui peuvent œuvrer au devenir d’une communauté, comme nous l’avons indiqué récemment.

Nos politiciens ont été soit parfaitement inconscients de la nécessité de prendre des mesures pour éduquer nos citoyens au civisme, à la citoyenneté, à la contribution de chacun au bien commun, dans lequel cas ils ont été des irresponsables, soit alors (ce qui est plus probable) ils ont estimé que rendre un peuple un peu plus avisé et critique ne servirait pas leur agenda politique. Nous avons eu droit à des renoncements dès le départ : « Ou kapav anpess devlopman coquin, ou ? » et le fameux « Moralite napa ranpli vent ».

Le seul organisme qui a été mis sur pied – l’ICAC – est comme ailleurs sous la férule du parti au pouvoir, et il n’intervient qu’après les délits. Il n’a aucune fonction préventive, alors que c’est la seule qui soit capable de donner des résultats à terme.

  • Le développement industriel des années 1980, pas préparé et prévu par les gouvernements en place, a rompu l’ordre ancien de « l’épouse en charge des soins et des travaux domestiques », a créé une séparation prolongée entre les enfants et leurs parents et a pénalisé la stabilité de très nombreux foyers. On en voit les résultats aujourd’hui dans la violence sexuelle, les séparations, la prostitution et le drogue. Il s’agissait évidemment de pallier ces contraintes notamment par le biais de crèches et de garderies répondant aux besoins des ouvrières, mais nos politiciens n’en ont eu cure ;
  • Encore une autre raison, et pas des moindres, explique cette démission envers l’accompagnement des jeunes vers le monde adulte : l’absence d’une véritable structure réunissant ce qu’on appelle déjà presque partout en Afrique « les organisations de la société civile » (OSC). Une telle structure, forcément cohérente et tant soit peu unie, serait la seule à pouvoir faire pendant aux deux autres pouvoirs (du moins ceux comptant parmi les pouvoirs non opaques) et interpeller énergiquement et ouvertement les politiciens et les pontes du privé sur un ensemble de questions relatives à la marche du pays et au bien commun, telles que la transparence (ou son manque), les libertés civiles, les vides juridiques, la corruption, les abus de pouvoir, les contre-pouvoirs, le trafic d’influence, la bonne marche des institutions, les problèmes de passe-droits et la discrimination sous ses différentes formes. En d’autres mots, les représentants de ces OSC dépasseraient largement le cadre de leur mission immédiate pour se mettre ensemble et s’attaquer aux contraintes du développement au niveau national en se constituant en une force critique et de proposition.

Le cloisonnement des communautés et l’auto-censure individuelle et collective expliquent cette absence dans une grande mesure. Et c’est vraiment dommage !

En face d’une telle situation, quelles sont les mesures à prendre ?

Commençons d’abord par définir, forcément schématiquement, la nature et les contraintes courantes du problème à résoudre. Pour le dire crûment, il s’agit de vaincre l’inconscience et de mettre le peuple en face de ses droits et l’éduquer à ses devoirs. En d’autres mots, il faut lui faire prendre conscience de son rôle dans la Cité et de sa contribution à sa bonne marche.

À travers l’Histoire, on a procédé à cette éducation, là où elle a été estimée judicieuse, en en confiant la responsabilité à trois parties : l’école, le foyer et les autorités. Les efforts doivent être persistants, et les résultats positifs ne se manifestent généralement qu’au bout de plusieurs décennies. Mais l’investissement est payant, car un comportement responsable à un niveau national est générateur de productivité, d’ascension sociale, de relations intercommunautaires fructueuses, de perspicacité dans le raisonnement et les analyses et, en fin de compte, de l’acquisition du sentiment d’une vie satisfaisante et remplie.

À Maurice, les temps où les enseignants apportaient à leurs élèves non seulement des connaissances dans certains domaines, mais aussi des principes et des valeurs à chérir dans leur vie ne sont plus. Ce que rapportent des sources d’information sur ce qui se passe dans des institutions scolaires et sur le comportement des élèves en public est stupéfiant. Ce qui l’est davantage, c’est la passivité et la démission des autorités. Singapour est moins mal loti à ce propos que notre île, ne trouvez-vous pas ?

Passé l’école, il y a le foyer. La tâche des parents est probablement la plus importante et la plus nécessaire qui soit pour l’éducation des enfants à la vie, à l’échelle des valeurs, à l’importance des sentiments à porter aux siens, à la communauté et à la nation, ainsi qu’à la dignité de son être et au respect de soi-même et des autres. Le problème, qui explique pourquoi les membres des classes populaires sont presque toujours condamnés à subir le même sort, génération après génération (excepté lorsque le hasard de la génétique fait émerger un être brillant qui réussit à s’extraire à sa condition) tient au fait que les parents dans les foyers pauvres ne sont pas eux-mêmes toujours munis des dispositions et des connaissances leur permettant de stimuler intellectuellement leur progéniture.

Passé l’école et le foyer, il reste les autorités, et parfois ce qu’on peut appeler « les bonnes volontés ». De l’État, nous n’avons rien obtenu depuis toujours. On ne stimule pas publiquement à Maurice les qualités susceptibles de rendre les citoyens conscients de ce qu’ils sont capables d’apporter à la société et de la façon de se comporter envers eux-mêmes, les autres et le pays. Électoralement, ça a non seulement aucun intérêt, mais ça peut être pénalisant par rapport au discours d’un concurrent qui harangue la foule en promettant le maximum, même au détriment de l’ordre, de la rigueur, de la responsabilité individuelle et du sens de l’effort. Le laxisme, l’à-peu-près, les trucages, la déliquescence et la lâcheté se perpétuent. Le désordre moral, le flou dans la perception que l’on a du monde et l’absence de toute échelle de valeurs se maintiennent. C’est le fameux « Less li all kumsa mem, do ! » qui prévaut encore dans de nombreux cas.

Nous voyons bien et nous félicitons même les initiatives extrêmement louables prises par des groupes comme « Projet de société » de Malenn Oodiah ou comme YUVA qui visent à promouvoir une prise de conscience de nos obligations dans notre vie courante, mais nous craignons que sans une volonté politique, des moyens beaucoup plus importants, surtout au niveau des établissements scolaires, et une forte détermination, les résultats ne se manifesteront que très (trop) lentement.

C’est à cette aune que nous mesurons pleinement l’impérative nécessité pour Maurice de se débarrasser dès que possible de ces piètres politiciens qui encombrent notre scène politique et nous font, somme toute, plus de mal que de bien. Quelqu’un comme Pravind Jugnauth ne se rend même pas compte de l’immense tort qu’il fait au pays en donnant régulièrement le mauvais exemple à nos concitoyens à travers la prise de décisions que la morale élémentaire condamne. À ce titre, il est partiellement responsable de la vaste immoralité qui règne dans la société mauricienne. Si nous avons eu à subir ce type de politiciens jusqu’à maintenant, c’est parce que le peuple, dans sa majorité, ignore jusqu’à aujourd’hui le tort qu’il cause au pays et à lui-même en les maintenant dans leurs fonctions. Quant à ces politiciens, se rendent-ils seulement compte que si le peuple mauricien était un peu plus averti, ils auraient été renvoyés dans « lacaze mama » avec un coup de pied bien placé depuis très longtemps ?

L’exemple le plus édifiant que nous puissions mettre en avant à ce propos tient à la décision du Jugnauth du jour de faire émettre un décret portant fixation de l’échéance au 19 août 2019 pour la soumission de candidatures pour l’élection de remplacement dans la circonscription n° 7 en novembre prochain. Avec son budget, il était sur le terrain de l’irresponsabilité envers nos finances, en utilisant nos fonds publics pour se payer une popularité ; il se trouve maintenant sur le terrain de l’indécence, dans son comportement envers l’électorat de Piton-Rivière du Rempart. Mais, combien de nos compatriotes sont conscients du fait que cette fois-ci, l’individu dépasse nettement les bornes et se sert littéralement des électeurs de Piton-Rivière du Rempart, et du peuple de Maurice en général, comme des pions pour se livrer à un jeu infect, de par lequel un individu quelconque se ferait élire éventuellement pour trois ou quatre semaines avant la procédure suivante relative aux élections générales ?

Que l’individu décide finalement de ne pas faire tenir une élection partielle en novembre n’a aucune importance ici. Ce que nous mettons en avant, c’est le fait qu’il manipule les électeurs comme de petits toutous à sa disposition pour se livrer à sa stratégie abjecte dans le cadre des élections à venir. Dit crûment, il montre aux électeurs du n° 7 que ce qui l’intéresse consiste uniquement à se servir d’eux pour des objectifs personnels bassement électoralistes, n’ayant aucun rapport avec leur représentation et leurs intérêts. De plus, il montre clairement son manque de respect pour les institutions.

Devant ce piteux processus, des Mauriciens pour qui la dignité signifie quelque chose réagiraient de la manière suivante :

  • Aucun candidat ne se manifesterait, pour bien signifier à l’individu que personne ne se laissera prendre à son sale petit jeu, susceptible de coûter au contribuable des dizaines de millions de roupies si jamais un scrutin avait effectivement lieu ;
  • Afin que l’individu comprenne qu’il est en train de vouloir se payer la tête des Mauriciens et que, cette fois-ci, enough is enough (comme dirait le spéculateur en euros), une journée de débrayage pacifique à travers tout Maurice serait organisée le lundi 19 août, afin qu’il retienne bien une chose : c’est nous qui sommes souverains, et c’est nous qui déciderons de l’avenir de ses initiatives.

Mauriciens : retournons cette situation en notre faveur, reprenons l’initiative et emmenons l’individu directement aux élections générales en jetant la feuille du « writ » mal rédigé par son président par intérim dans la poubelle de l’Histoire !

Et sachons nous montrer solidaires avec l’électorat du numéro 7, en lui apportant notre soutien moral et en le lui faisant savoir !

A. Jean-Claude Montocchio