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Dans notre chronique de cette semaine, nous vous présentons un documentaire d’un extrême intérêt sur le pillage du thon albacore (thon jaune) dans l’océan Indien et la pollution de ses eaux, qui semble n’avoir été vu que par un infime nombre de Mauriciens, alors qu’il devrait intéresser tous ceux d’entre nous pour qui la sauvegarde de notre écologie marine et de nos ressources en poisson est une nécessité.

Ce documentaire est présenté dans ce qui constitue une première pour notre page hebdomadaire : par retransmission vidéo en flux continu (embedded video streaming).

Mais avant d’y arriver, faisons un aparté pour parler de journalisme. S’il y a une forme de journalisme qui mérite notre intérêt, et même notre admiration, c’est celui portant sur les investigations. Ce type de journalisme joue dans un registre tout à fait différent : il consiste pour l’investigateur à prendre son temps, s’il dispose de moyens suffisants, pour aller fouiller, analyser, suivre, interpréter, questionner des activités et des pratiques qui sont souvent cachées pour des raisons bien précises.

Le journalisme d’investigation est un domaine spécialisé qui requiert de ceux qui s’y investissent des qualités assez exceptionnelles : flair, sang-froid, audace, perspicacité, contacts, détermination et grandes connaissances. Cette activité n’est pas à la portée du premier venu, et dépend souvent de cadres et de contextes difficiles qui ont tendance à poser de redoutables contraintes à surmonter.

Demandez à ceux qui ont tenté de s’y adonner à Maurice (au cas où ils sont disposés de vous en parler librement, ce qui n’est pas certain), avec peu de succès au final, et vous comprendrez. Mais au niveau international, certains journalistes y arrivent quand même, et les résultats sont alors édifiants. Exemples : Panama Papers, Wikileaks, Offshore Leaks.

Élise Lucet est membre du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ). Indomptable journaliste travaillant pour France 2 à Paris, elle suscite la gêne mais aussi l’admiration pour les dossiers qu’elle traite. Suprême consécration, elle a reçu en 2017 le prix Pulitzer pour son animation d’un programme télévisé intitulé « Cash Investigation », régulièrement diffusé sur la chaîne France 2.

Son dernier documentaire est consacré au pillage du thon albacore dans l’océan Indien et du thon rouge en Méditerranée. Ce document, qui est de grand intérêt pour les Mauriciens, y compris leur gouvernement, ne semble pas avoir été vu par de nombreuses personnes dans le pays. Personne, médias compris, n’en a parlé, alors qu’il aurait fallu que la population entière prenne conscience d’une question qui les concerne tous.

Programme passant trop tard à Maurice (minuit) ? Même jour qu’un grand match de foot ? Impossibilité pour ceux qui regardent la télévision d’enregistrer un programme précis pour le visionner après ? Inexistence jusqu’à maintenant de téléviseurs reliés à l’Internet à Maurice ? Rétention d’information ? Tentative de noyer le poisson ? Nous n’en savons rien.

Quoi qu’il en soit, voici les faits.

La MBC TV, l’organe officiel de propagande du gouvernement en place, quel qu’il soit, a diffusé en début de semaine un court programme sur le Seafood Hub de Maurice : performance spectaculaire d’un secteur en pleine « mutation », hausse considérable de la « production » de 2015 à ce jour, contribution à hauteur de 24 % de notre économie et exportations d’une valeur annuelle de 11 milliards de roupies. La porte-parole de la MEXA se félicite de ces performances.

De son côté, Élise Lucet a découvert des choses effarantes sur les « performances » des activités de pêche auxquelles participent et dont dépendent deux conserveries à Maurice. Vous les découvrirez en visionnant le programme de France 2 auquel nous vous offrons l’accès ci-dessous.

Pour l’essentiel :

  • Les thoniers français et espagnols se livrent à un véritable carnage des ressources marines de l’océan Indien
  • 27 thoniers européens, 2 thoniers considérés comme « mauriciens » et 13 thoniers considérés comme « seychellois » se livrent à des campagnes de pêche
  • 78 % des poissons sont pris grâce à un dispositif amélioré en permanence, le DCP, qui signifie « dispositif de concentration du poisson »
  • Toutes les espèces sont prises, indistinctement. Ce qui n’est pas du thon est appelé « pêche accessoire »
  • Les « rejets » en mer de poissons morts sont importants
  • Les DCP, qui dérivent librement dans tout l’océan Indien, ne sont jamais récupérés et sont une source importante de pollution
  • La Commission européenne accorde des subventions à ces activités

Nous vous laissons découvrir le dossier complet de ce carnage. Vous constaterez ce que fait la Commission thonière de l’océan Indien à propos de cette situation. Vous écouterez l’océanographe V. Kauppaymuthoo nous dire ce qu’il pense des conséquences à long terme des destructions de poissons pélagiques juvéniles dans notre zone économique exclusive, pêchés avant qu’ils n’aient eu le temps de se reproduire.

Pour visionner cette vidéo, nous vous conseillons vivement de ne pas utiliser un smartphone, car vous ne pourrez pas saisir tout l’intérêt de ce document dans les conditions minimums nécessaires. Optez pour une tablette, un ordinateur portable ou, idéalement, un PC. Si vous rencontrez des problèmes, adressez-nous à [email protected] votre adresse e-mail, et nous vous ferons parvenir le fichier entier (en format .mp4) que vous pourrez télécharger (prévoir un espace de 600 Mb) et puis visionner à loisir.

Le programme concerne tant la pêche dans l’océan Indien qu’en Méditerranée (où il a fallu il y a quelques années prévenir l’extinction complète du thon rouge). Temps du défilement de la vidéo : 2 heures et 8 minutes. Mais pour ce qui concerne la partie qui nous intéresse, vous pouvez cesser de visionner la bande après exactement 1 heure et 15 minutes.

 

 

Cette « découverte » appelle à la formulation de plusieurs commentaires et questions :

  • La Commission européenne finance les infrastructures, la France et l’Espagne (les Espagnols sont de redoutables pêcheurs) possèdent des thoniers qui prennent du poisson de manière indiscriminée, leurs bateaux-usines de Mahé transforment sur place, ils achètent et transportent les produits finis, ils vendent du thon en boîte en grandes quantités en Europe et ailleurs. Que reste-t-il pour les pays du Sud-Ouest de l’océan Indien comme bénéfices provenant de leurs zones économiques exclusives (ZEE) ? Un faible actionnariat dans des conserveries à Maurice. C’est ce qu’on appelle une situation « gagnants-gros perdants ». Pas de quoi en être fier ou satisfait !
  • Les pêcheurs locaux des Seychelles ne voient rien passer en supposée forme d’aide de l’Union européenne. Leurs prises, ainsi que celles des pêcheurs de la côte Est de Madagascar s’en ressentent. Personne ne s’en soucie…
  • Le gouvernement de Maurice a signé des accords de « coopération » avec l’Union européenne qui permettent aux Européens de dominer largement les activités de pêche dans l’océan Indien, pour leurs propres intérêts. Se sent-il responsable d’avoir donné, en quelque sorte, le feu vert à ces activités ?
  • Que pensent les représentants de la Commission thonière de l’océan Indien de ce qui se passe dans l’océan Indien ? Où en est-elle avec le dossier de lutte contre la pêche illégale ?
  • Le gouvernement de Maurice a-t-il les moyens de participer à cette lutte, ou est-ce encore une fois le « less li all kumsa mem, do » ? Le gouvernement a-t-il un contrôle des prises des Japonais dans notre ZEE ? Attention, il pourrait exister un risque qu’à terme il n’y ait vraiment plus de « labalenn » dans nos eaux, exterminées pour toujours.
  • Et, pour conclure, tout ce beau monde sait-il qu’à qualité égale, le thon du bassin de l’océan Indien n’est pas compétitif par rapport à celui des Philippines, leader des exportations vers l’Europe, pays qui ne bénéficie même pas d’un traitement préférentiel à l’entrée dans l’Union européenne ?
  • Sait-on chez nous que le WWF a mis en place aux Philippines un projet pilote visant à faire évoluer durablement les méthodes de pêche dans la ZEE de ce pays ?
  • À quand l’obtention du label MSC, qui distingue les produits issus de méthodes de pêche durables et responsables, sur le thon en boîte provenant de l’océan Indien ?
  • Enfin, à quand un « Fridays for Future » contre la disparition programmée de nos ressources marines ?

Faites part de l’intérêt à visionner ce document autour de vous. Dans ce type de dossier, ce n’est que par une sensibilisation soutenue et un appel à exprimer sa désapprobation que l’on arrive parfois à changer les choses, dans le sens inverse à celui que la MBC appelle une « mutation ».

Merci d’avance !

A. Jean-Claude Montocchio