Monsieur l’ancien Premier ministre,

Une nuit cette semaine-ci, j’ai fait un mauvais rêve, un vrai cauchemar en fait. Je me voyais à Maurice un mois après des élections que votre parti avait remportées, avec vous-même comme nouveau Premier ministre, pour un quatrième mandat de cinq ans !!!

Vous aviez beaucoup fait en quatre semaines à la tête du pays, comme après chacune de vos arrivées au pouvoir, avant que votre dilettantisme, votre pusillanimité et votre léthargie ne reprennent le dessus et que vous redeveniez ce que vous avez toujours été, soit un adepte de la continuité dans l’inaction, alors qu’il y a dans notre pays des montagnes de changements à apporter, du moins pour les courageux et les déterminés… 

Comme on aurait pu le prévoir, vous aviez passé ces quatre semaines à procéder à un grand nettoyage dans l’île, surtout dans la haute administration, pour vous défaire de tous ceux qui avaient servi Pravind Jugnauth de (trop) près, et à les remplacer par vos fidèles serviteurs ainsi que par les roder boutte acquis à votre personne et par tous ceux dont vous auriez besoin durant votre mandat.

Vous aviez déjà remplacé celui qu’on était arrivé à appeler ‘Marionnette’ sur les réseaux sociaux, en mettant à sa place quelqu’un de parfaitement dévoué à votre cause. Comme le peuple le sait déjà, chaque Premier ministre a son Commissaire de police particulier, comme quoi ce dernier sert d’abord la Primature avant de tenter d’assurer objectivement les tâches qui lui sont propres (pour ainsi dire !) concernant l’ordre, la discipline, la sécurité et la libre circulation des personnes dans le pays.

Vous aviez déjà montré que vous maintiendriez fermement l’optique de vos prédécesseurs et de vous-même selon laquelle, dans les hiérarchies de l’administration de Maurice, la soumission et l’obéissance, voire la dévotion, restent des qualités plus importantes chez les fonctionnaires que la neutralité, l’impartialité et la compétence. Tous les habitants auraient pu le deviner !

Tous ces changements allaient se faire à grands frais et allaient coûter « un pognon de dingue », comme aurait dit Emmanuel Macron, mais ce serait bien là le cadet de vos soucis. Chacun a son propre sens des priorités dans l’utilisation des ressources publiques à Maurice, comme votre prédécesseur l’avait si bien fait voir.

Vous aviez aussi déjà commencé à adopter des mesures pour ‘casser/refaire’ ce que votre prédécesseur avait institué, question de vous venger de tout ce qu’il avait entrepris pour vous faire du mal et pour assurer son maintien au pouvoir.

Votre manifeste électoral n’avait contenu, comme précédemment, aucun renseignement précis sur les mesures que vous comptiez prendre pour vous attaquer à la situation économique préoccupante du pays, au déficit de notre balance commerciale, à la corruption, au trafic d’influence, à la circulation de la drogue, au manque de civisme, à l’insécurité, à l’urbanisation sauvage, et au traitement dévoyé de notre environnement, de notre patrimoine et de nos ressources marines.

Nous le savons bien : toutes ces ‘ruptures’ (comme vous les appelez vous-même dans votre parler ‘marketing’) nécessitent du courage de la part des gouvernants, l’imposition de mesures fermes ainsi que des prises de conscience chez les Mauriciens ordinaires, eux qui sont habitués depuis 50 ans à faire comme il leur plaît, du moins dans la quasi-totalité des situations dans lesquelles ils se trouvent dans leur vie courante. Vous n’aviez rien évoqué sous ces différents chapitres depuis votre élection. Des dossiers sensibles, n’est-ce pas, susceptibles de vous mettre déjà à dos une clientèle d’électeurs devenue de plus en plus tyrannique au cours du dernier demi-siècle. Nous ne sommes pas dans le royaume du ‘Less li all kumsa mem’ pour rien.

D’autres signes encore laissaient entrevoir que ce nouveau mandat serait du pareil au même : dans mon rêve, vous vous étiez déjà débarrassé des tenants de la cuisine, généralement anglophones, pour les remplacer par vos ‘frères’ et ‘sœurs’ francophones habituels, sachant qu’avec eux et elles, vous auriez affaire à des gens que j’appelle des « Philips », soit les dignes représentants du ‘c’est plus sûr’ ! Leur présence autour de vous allait leur donner accès à des informations circulant au plus haut niveau de l’État, eux dont les vénérables ascendants ont compris depuis des siècles combien la possession d’informations est cruciale et confère du pouvoir et de l’influence…

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Et puis, me réveillant brusquement, je suis devenu nerveux et j’ai éprouvé des difficultés à me rendormir. Mon esprit a divagué, et je me suis surpris à passer en revue les faits qui ont marqué vos trois mandats précédents, tout en essayant d’en tirer un bilan.

Sous certains rapports, vous ressemblez beaucoup à votre père, vous savez ?  Pour les observateurs attentifs, même sensation d’immobilisme, même sentiment d’hésitation à prendre des décisions et à défendre des dossiers de manière ouverte, énergique et clairement déclarée. Même refus de se soumettre, comme on peut le faire ailleurs, à des rencontres régulières avec les différents médias pour répondre spontanément à des questions dont les électeurs avisés attendent des éclairages précis, sans ambiguïté.

Nous sommes avec vous en plein dans le flou, le vague, le secret, l’indécis, le possible et l’éventuel. Sous vos trois mandats, la situation concernant l’immoralité, le manque de civisme, le désordre, les marchandages et l’irresponsabilité a continué à s’empirer. Dans un pays aussi en retard dans la formation du peuple à la vie politique et grâce à l’utilisation à fond du ‘jeu’ communaliste, vous avez gardé les électeurs dans une certaine ignorance des véritables considérations qui comptent pour notre avancement, car elles n’auraient pas été favorables à votre élection et/ou votre réélection.

Notre peuple a besoin de repères, d’exemples à émuler, de valeurs morales à absorber et d’orientations à considérer en matière d’avancement personnel, afin qu’il se situe et qu’il se retrouve dans son parcours de la vie. Au lieu de cela, il est constamment soumis aux violentes critiques que débitent les politiciens sur leurs adversaires sur les estrades. Voilà ce qui tient jusqu’à aujourd’hui la place de programmes politiques sur les estrades. Pire encore dans votre propre cas, nous avons eu en primeur une série de mauvais exemples que vous avez donnés au peuple depuis 1995 : l’épisode Macarena, votre infidélité, votre accumulation d’espèces et de devises chez vous pour le financement d’élections selon vos convenances, le maintien de votre parti politique dans l’informalité juridique la plus totale, votre autoritarisme, votre narcissisme, votre égocentrisme et votre amour déraisonnable du pouvoir politique, hérité de votre père.

La liste de vos comportements et de vos absences de décisions avisées et courageuses est très longue, Navin Ramgoolam. Aux éléments énumérés ci-dessus, l’on pourrait en ajouter bien d’autres, dont certains nécessitant une mention spécifique. En voilà cinq.

  • Pour des raisons éminemment électoralistes, vous avez endossé le retrait des dispositions que Rama Sithanen avait courageusement réussi à faire adopter en 2006 à propos de la ‘National Residential Property Tax’, et ce faisant vous avez perpétué le sentiment injuste qui prévaut (comme dans bon nombre d’autres pays où prévaut le multiculturalisme) à l’effet que ce sont les membres des autres communautés qui doivent payer l’impôt et les autres charges publiques plutôt que soi-même et les autres membres de la communauté à laquelle on appartient. Bien peu de gens à Maurice comprennent jusqu’à maintenant qu’il est juste et normal que l’État prenne une partie raisonnable de ce que l’on reçoit comme revenus pour financer les dépenses publiques dont bénéficie l’ensemble des citoyens. Avec vous, une application de la taxe rurale peut attendre encore longtemps ;
  • Comme l’aurait fait votre père, vous avez mis dans un tiroir le rapport de l’Electoral Supervisory Commission en 2009. Avec vous, le découpage approprié des circonscriptions de Maurice peut attendre ;
  • Depuis 2005, vous avez roulé le peuple avec l’annonce dans votre manifeste électoral d’un Freedom of Information Act, qui n’a jamais vu le jour jusqu’à fin 2014. Il n’y a pas de meilleur exemple pour démontrer combien vous vous fichez de votre électorat. Il n’y a pas de plus forte démonstration du fait que les contre-pouvoirs sont d’une extrême faiblesse à Maurice ;
  • Au cours de votre mandat de 1995 à 2000, il est arrivé un moment où vous avez voulu climatiser Clarisse House à Vacoas. Et votre « frère » B.G-D., qui est un excellent commercial (revenu à l’époque de l’Afrique du Sud, et reparti dans ce pays depuis maintenant une quinzaine d’années), a réussi à vous convaincre de placer la commande pour les équipements de climatisation de cette magnifique demeure directement auprès de lui, sans passer par un appel d’offres en bonne et due forme. Ce faisant, vous avez commis deux graves erreurs : vous avez placé les intérêts personnels de votre « frère » au-dessus des intérêts supérieurs du pays ; et vous avez porté atteinte au principe de la libre concurrence dans le pays, un principe que vous êtes supposé valoriser et faire respecter à tout instant comme Premier ministre. Le dossier « Airway Coffee » est d’ailleurs de la même veine.
  • Mais la plus grave tentative d’atteinte à notre démocratie a été votre alliance électorale avec Paul Bérenger avant les élections de décembre 2014, dont les termes prévoyaient que vous deviendriez président de notre République avec des pouvoirs nettement accrus au cas où vos deux partis remporteraient suffisamment de sièges lors de cette même élection pour permettre un apport de changements y relatifs dans notre Constitution.

Vous connaissant et connaissant ce dont vous êtes capable, je suis de ceux qui sont intimement convaincus que nous sommes passés, avec cette alliance politique heureusement défaite, bien près d’une gouvernance proche d’un système autoritaire, voire même d’une autocratie ‘soft’. En politique, les petits parvenus comme vous, dont l’impulsivité à montrer qui l’on est supposé être est viscérale, peuvent être une source de déliquescence très grave pour un pays.        

Pour résumer, vous êtes devenu pour un grand nombre d’électeurs une vraie contrainte. Vous êtes directement responsable de l’affrontement violent qui vous oppose à la famille Jugnauth depuis cinq ans, vous continuez à donner des signes que votre laxisme et vos indécisions en matière de gouvernance continueront de plus belle au cas où vous retournez au pouvoir, vous flouez la communauté hindoue de Maurice en vous présentant comme son « guide » lors d’une présence à Grand Bassin, sans même savoir ce que signifie et implique réellement ce terme, et sans posséder la moindre disposition à servir de « guide » à une communauté particulière du pays, ce qui aurait laissé les autres en retrait, le cas échéant.

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Notre pays est dans une situation difficile et délicate, Navin Ramgoolam, et vous en êtes en partie directement responsable. Il nous faut à tout prix faire partir la famille Jugnauth et ses acolytes du pouvoir, afin qu’il soit possible d’imprimer un nouveau départ à notre mère patrie, malgré les immenses obstacles qui se dressent devant nous et l’énergie considérable qu’une telle initiative demandera. Et l’un de ces plus gros obstacles à ce renouveau, c’est vous.

Vous êtes un fort obstacle à la défaite du MSM aux prochaines élections, car beaucoup de votants ne veulent pas donner leur voix à un Parti travailliste – pour lequel ils éprouvent par ailleurs beaucoup de sympathie – si vous restez à sa tête. Les réseaux sociaux montrent clairement que cette considération a beaucoup d’importance dans le contexte politique actuel. Vous êtes perçu comme un dinosaure et un poids lourd, et vous pourriez bien contribuer, en maintenant votre présence dans la liste de candidats aux prochaines élections, à la défaite de votre parti et par contrecoup au maintien au pouvoir de Pravind Jugnauth, ce qui serait une immense catastrophe pour notre pays et son avenir.

Partez, pendant qu’il est encore temps. Sinon, vous finirez comme votre père en 1982, avec une sortie par la petite porte et le déshonneur…

Au début de 2015, vous avez agi de manière abjecte envers Arvin Boolell qui aurait dû, si vous aviez montré que vous savez ce qu’est la dignité et l’amour-propre, vous remplacer. Vous vous êtes servi de videurs (tapeurs) pour lui faire comprendre à l’entrée du siège de votre parti que, malgré tout, vous alliez bien rester son leader, malgré la défaite déshonorante à laquelle vous aviez conduit le PTr fin 2014. Mais, comme vous le dites couramment à qui veut l’entendre : « Moi qui décidé ! ».

Après avoir beaucoup réfléchi aux différents scénarios qui se présentent à nous en vue de la prochaine consultation populaire et après les avoir comparés, je suis arrivé à l’intime conviction que c’est bien un Parti travailliste mené par Arvin Boolell qui a les meilleures chances de faire élire une équipe capable d’arrêter notre descente aux enfers et la réhabilitation politique et morale dont Maurice a tant besoin.

Cet homme est ouvert, sincère, décidé et certainement bien plus compétent que vous. Je viens de relire la longue interview qu’il a accordée le 22 février 2016 à un quotidien. L’intitulé « Ne prenez pas mon humilité pour de la faiblesse » traduit bien une détermination, une assurance et une vision de l’avenir qui le placent en première position dans le vrai leadership du pays et l’animation avisée de notre cadre de vie. Sa vision de l’avenir, sa sobriété et la maturité dont il fait montre sont un vrai atout pour nous, loin des tractations mesquines, des coups de poignard dans le dos et de la navigation à vue.

Pour votre information, dans ma prochaine chronique, je m’adresserai directement à lui à travers une lettre ouverte, en premier lieu pour lui indiquer le soutien dont il pourra bénéficier de la part de nombreux Mauriciens dans une éventuelle démarche visant pour lui de s’imposer au sein de son parti. Il sera aidé, mais ce sera à certaines conditions. Car dites-vous bien que, pour ceux des électeurs qui réfléchissent un peu à Maurice, le « free hand » qui a été accordé jusqu’ici à ceux qui briguent les suffrages de l’électorat, c’est terminé. Vous aurez l’occasion de le constater dans les semaines à venir.

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Avant de terminer, j’ai pensé à vous offrir quelque chose. À travers les réseaux sociaux mauriciens circule actuellement une bande vidéo qui montre « Le retour du Roi Lion », c’est-à-dire votre éventuelle reprise en main des rênes du pouvoir dans l’île.

J’oppose à cette bande vidéo une autre, bien plus sympathique, empreinte de fraîcheur, de spontanéité et d’optimisme. C’est une bande vidéo tournée en Suisse, une œuvre de « Kids United – Nouvelle Génération » avec un financement de l’UNICEF. Regardez-la bien. Elle inspire, car elle dit « Dans la jungle, la terrible jungle, le lion est mort ce soir… »

Allez, ça dure moins de 3 minutes… Cliquez sur le lien ci-dessous :

https://www.dailymotion.com/video/x6qfiz8

 Je vous transmets, Monsieur l’ancien Premier ministre, mon souvenir le tout meilleur.

 

A. Jean-Claude Montocchio