Chers compatriotes,

Nous nous devons de vous l’avouer : le déroulement de la dernière campagne électorale, les élections et les résultats de celles-ci nous ont beaucoup choqué !  Peut-être est-ce dû au fait que, loin de notre île natale, nous n’avons pas pleinement évalué tout un ensemble de facteurs, ou alors nous comprenons et acceptons de moins en moins le comportement naïf et le pouvoir d’encaissement infini d’une partie significative de nos concitoyens…

Quoi qu’il en soit, nous subissons aujourd’hui pleinement ce qu’il en coûte de placer trop d’espoir dans l’élémentaire capacité d’un grand nombre de Mauriciens à faire la distinction entre la moralité, l’immoralité et l’amoralité, entre l’amour-propre et l’indignité, entre la juste appréciation des choses et la crédulité, et entre la maturité et l’infantilisme. 

Il est convenu que lorsque plusieurs communautés dont les comportements respectifs issus de leurs cultures d’origine – qui restent jusqu’à aujourd’hui un élément de différenciation assez déterminant, surtout pour ceux au bas de l’échelle intellectuelle, qu’on veuille l’accepter ou pas – vivent dans un espace restreint, avec une densité de population élevée, on a intérêt à montrer de la compréhension plutôt que de l’antagonisme. La paix sociale et la « coexistence pacifique », des facteurs essentiels de la stabilité politique, en dépendent.

Mais entre encaisser ou accepter inconsciemment des comportements qui heurtent la morale publique élémentaire en provoquant une lente dégénérescence des mœurs, d’une part, et réprimer d’autre part trop fermement au point de provoquer des réactions susceptibles de créer des ressentiments sur le plan social, il nous semble qu’il existe une marge d’action que l’électorat et les intellectuels de Maurice dignes de ce nom doivent utiliser plus rigoureusement, afin d’imposer chez les politiciens un comportement correspondant à ce à quoi l’on peut s’attendre, même élémentairement, d’un système qui se veut démocrate.

Comme nous l’avons souligné plusieurs fois précédemment, le vrai drame de notre pays depuis 1948 tient au fait, dont l’évidence est éclatante, qu’il existe un vrai vide mental dans une partie non négligeable de notre électorat capable d’orienter les résultats de nos élections dans un sens bien précis. C’est bien ce que l’élection de la semaine dernière a mis en exergue de manière spectaculaire une fois encore. Et c’est ce de quoi nous allons traitons dans la présente chronique.

Mais, passons quand même avant de commencer à le faire à certaines conclusions immédiates émanant de cette consultation populaire.

  • Comme prévu, Navin Ramgoolam s’est révélé être un boulet que le Ptr a dû traîner et subir. Il explique à lui seul une part non négligeable de la défaite de son parti, et il faudra impérativement qu’Arvin Boolell trouve les moyens, rapidement, de contourner les rares soutiens indéfectibles élus du cacique qui tournent encore autour de lui pour s’imposer définitivement comme leader du parti. Une belle revanche, en quelque sorte, sur le « moi qui décidé ». L’affront du début de 2015 est lavé !
  • Le système électoral bancal imposé par Seewoosagur Ramgoolam en 1967 continue à montrer ses limites. Pour un parti politique, gouverner un pays avec une majorité confortable de députés, mais qui représentent seulement 37 % de l’électorat, vient réduire à peu de chose la signification véritable de ce que l’on comprend par « démocratie représentative », surtout dans une société multiculturelle et avec une constitution et une mentalité qui permettent à un seul individu, en l’occurrence le Premier ministre, de jouir d’immenses pouvoirs tant au niveau du législatif que de l’exécutif. Cela serait acceptable à la limite dans un système où le jeu démocratique est mené de manière correcte, comme en Grande-Bretagne, mais le sens du fair-play est inexistant à Maurice pour des raisons culturelles et de mentalité archaïque, et la partie évoluée de la population se retrouve à la merci et doit subir les faits et méfaits des tristes individus au pouvoir. Disons-le une fois pour toutes : la démocratie représentative, c’est un système de représentation d’idées et de programmes, et non pas d’esprits à différents stades de leur évolution avec comme point de mire des affinités culturelles et des niveaux d’allocation de fonds pour des prestations sociales précises.
  • Qu’on veuille l’admettre ou pas, nous vivons à Maurice dans une société bloquée. Un minimum de vrai mauricianisme n’a aucune chance de s’imposer dans l’avenir immédiat. Pire encore, la partie du peuple qui fait les élections a été tellement favorisée au fil des récentes décennies qu’elle commence à dégager une attitude assez tyrannique. Elle a compris qu’elle peut imposer sa volonté selon un jeu de « give and take » entre elle et les politiciens opportunistes dont les conséquences sont de plus en plus manifestes et pénalisantes pour le pays.

Venons-en maintenant à notre propos principal : la victoire imprévue du camp des Jugnauth aux élections de la semaine dernière.

Cette victoire a été largement non prévue et imprévue par une partie majoritaire de la population locale. Pas seulement par la nature des échanges qui se lisaient sur Facebook et les autres réseaux sociaux, mais aussi par deux autres facteurs de grande importance, du moins à nos yeux emplis de naïveté :

  • Le comportement de Pravind Jugnauth au cours de son bref passage au pouvoir jusqu’à la semaine dernière comme Premier ministre. Comme chacun sait – ou devrait peut-être le savoir – cette période a été caractérisée par des actes et un comportement répréhensibles de sa part et de son équipe. Comme le dit de façon très pertinente Daniella Bastien dans un post récent sur Facebook et que nous prenons la liberté de reproduire : « Des biscuits et de l’eau, une base militaire à Agaléga, un fonds de pension défoncé, un métro express qui n’a toujours pas de certificat de sécurité, de la synthé dans les collèges et dans les rues, les nominations politiques à la famille, [le manque] d’eau 24/7, les logements sociaux non livrés, de la cocaïne dans une tractopelle, pas d’élections villageoises, une partielle qui n’a pas eu lieu, l’affaire BAI, le rapport Lam Shang Leen dans un tiroir… » Nos lecteurs éclectiques pourront en rajouter à loisir, notamment avec le projet « Safe City », le népotisme flagrant, l’incapacité à ralentir la corruption. La liste peut s’allonger sans difficulté.
  • Les très graves accusations portées contre Pravind Jugnauth et ses proches à travers les différents ‘GATES’, principalement émis par Top FM, ainsi que les tentatives de perversion d’un journaliste de cette plateforme. Nous pensions que le seul fait que cette série d’accusations aient été portées, qu’elles soient vraies ou fausses, aurait suffi pour assurer la défaite du MSM aux élections générales. Après tout, jusqu’à nouvel ordre, nous avons depuis vendredi dernier un Premier ministre sur lequel reposent, de façon présomptueuse peut-être, mais bien concrète tout de même, des accusations de trafic de stupéfiants, de dévoiement de fonds publics, de tractations commerciales douteuses, de comportement opaque total pour certains dossiers, d’entraves à la diffusion de bandes vidéo destinées au public et de censure, de trafics d’influence pervers, d’utilisation de son poids à l’Assemblée nationale pour modifier des dispositions légales à l’avantage de son clan, etc., etc.       

Ainsi, nous avons été surpris, comme beaucoup d’autres compatriotes, des résultats du vote du 7 novembre dernier. Et depuis, nous avons réfléchi aux raisons de ce vote, en prenant en considération les événements sous leur angle sociologique et culturel, comme d’habitude. Voici nos conclusions.

Pravind Jugnauth a acheté une partie de l’électorat avant l’élection en se servant de fonds publics, et en se livrant à une surenchère abjecte avec ses concurrents en matière de distribution de fonds à venir. Puis, avant le scrutin, il s’est lancé dans une opération de chantage auprès de son public, en lui promettant des avantages au cas où son groupe et lui-même revenaient au pouvoir. Et ça a marché tel qu’il l’espérait.

Faut-il faire ressortir que c’est la première fois dans les annales de la politique à Maurice qu’un parti au pouvoir s’est comporté avec une telle extrême générosité, en mettant manifestement en danger l’équilibre et la capacité de notre système économique – déjà précaire et bien malmené – à assurer notre développement futur.

Et, à notre avis, la seule et unique explication possible à ce comportement éminemment discutable du Premier ministre sortant tient au fait qu’une partie non négligeable de nos citoyens, celle-là même qui est – en l’année de grâce 2019 – en mesure de faire et de défaire les résultats globaux et ceux des candidats individuels lors d’un scrutin, manque encore et toujours de capacité intellectuelle et de dispositions élémentaires leur permettant d’exprimer un vote sensé, critique, raisonné et raisonnable, traduisant une faculté d’analyse et une maturité conditionnant un choix judicieux et porteur d’avenir.

Pour illustrer nos propos, nous présentons une « distribution » de la population mauricienne en cinq quintiles, schématiquement basée sur la capacité ou non de réfléchir selon la vision (forcément schématisée) que chacun de nous portons sur une situation ou un événement.

  • Dans les deux premiers quintiles du bas, nous trouvons ceux des Mauriciens chez qui les émotions dominent quasi totalement le processus mental. Pas de faculté de recul par rapport aux hommes politiques, grande subjectivité de la perception des choses et du raisonnement, maniement de l’encensoir sur tout ce qui ne convient pas au sentiment entretenu, désordre dans les idées limitées en nombre.

Pour les populations de ces deux quintiles, les considérations de moralité, de décence, de dignité et d’amour-propre envers soi-même n’ont aucune espèce d’importance. Pravind Jugnauth offre des augmentations de salaires et de pensions, des crédits d’impôt, des molletons et tutti quanti, et il promet encore davantage en cas d’élection, alors pourquoi ne pas voter pour lui ? Son comportement immoral, la façon dont il se sert généreusement des fonds publics pour son propre bénéfice, les entraves qu’il pose aux libertés publiques, son endos du désordre, du laxisme et de l’irresponsabilité qui règnent à Maurice, ces deux quintiles s’en fichent éperdument. Pourquoi pas d’ailleurs ? ‘Moralité napa ranpli vant’, ‘Pas kass latet’ et ‘less li all kumsa mem, do’. C’est ça Maurice, dans toute sa splendeur !

  • Dans les deux quintiles suivants, on trouve pêle-mêle des votants plus ‘instruits’. Nous ne les appelons pas ‘éduqués’, car l’éducation et l’instruction sont deux choses très différentes, que l’on confond spontanément dans notre monde supposément évolué : l’instruction et les connaissances s’acquièrent dans des écoles, des lycées et à l’université, alors que l’éducation, la vraie, celle qui nous munit (ou pas) pour la vie avec des comportements, des valeurs et des principes souvent immuables, est celle que l’on reçoit à des degrés très variables de ses parents, capables qu’ils sont ou pas de nous les inculquer.

Ces deux quintiles comprennent les votants qui basent leurs préférences par rapport aux représentants des partis politiques et aux idées que véhiculent ces derniers. Ils se sentent des affinités et expriment ouvertement leurs préférences pour tel ou tel autre parti politique, auquel ils s’identifient, en justifiant leur choix par des arguments qui tiennent souvent la route.

Le problème de ces deux autres quintiles, c’est que leurs populations choisissent pour leur préférence d’un parti politique donné des éléments qui sont favorables à ce même parti, en écartant tous les autres éléments qui ne le sont pas, mais qui restent quand même bien réels. La subjectivité est moindre chez eux que chez les populations des deux premiers quintiles que nous avons qualifiés, mais nous ne sommes pas encore dans le recul, le détachement et l’objectivité.   

  • Dans le premier quintile du haut, nous plaçons sans réserve ceux des votants qui ont développé, à force de formation aux humanités, de lectures, de réflexions, d’échanges et de sens critique une autonomie intellectuelle qui leur est propre à chacun et qui permettent de contribuer valablement à l’émission de politiques basées sur des idées et des propositions plutôt que sur des hommes et des femmes. Après tout, c’est bien là ce qui compte le plus. Tel qu’il se présente, le terrain politique de Maurice peut leur réserver beaucoup de frustrations, car ils ne peuvent s’identifier généralement à un parti politique donné.

Voilà donc présentées nos réflexions qui nous poussent à penser que la vraie démocratie chez nous n’est ni pour demain, ni pour après-demain. Ces réflexions nous sont évidemment strictement personnelles, et chacun est libre d’y ajouter sa part, sous quelque forme que ce soit, même très critique. Car tel est le prix à payer pour « rester dans le jeu ».

Peut-être faut-il que nous ajoutions que l’île Maurice serait parfaitement capable d’accélérer son cheminement vers un minimum de maturité chez ceux de ses électeurs qui votent toujours avec leurs tripes plutôt qu’avec leur tête. Des solutions, jamais envisagées chez nous, existent ailleurs dans le monde. En voilà une, peu digne d’acceptation avec la mentalité qui règne ici : en Suisse, jusqu’à récemment, les jeunes de 4 à 6 ans étaient soumis dans leur établissements scolaires à des cours de civisme et de citoyenneté : c’est cela qui explique en grande partie le comportement remarquablement responsable des citoyens de ce pays. Une autre solution incontournable consisterait à faire régner dans l’île de l’ordre et de la discipline. Mais dans un système où les leaders politiques s’entredéchirent, qui d’entre eux aurait intérêt à introduire des mesures auprès d’un peuple habitué depuis toujours à bafouer les lois et qui réagit systématiquement à de la fermeté avec le fameux ‘Zot fer dominer’ ?

Nous voudrions terminer avec les commentaires suivants sur le compte de Pravind Jugnauth. Comme il l’a annoncé deux jours après le scrutin, il va maintenant prendre les dispositions voulues pour attaquer légalement la plateforme qui a attribué à ses proches, ses amis et lui-même des agissements et des engagements odieux dans les façons et les domaines que nous savons tous aujourd’hui.

Nous attendons impatiemment la prise et l’issue de ces démarches, car nous sommes très anxieux d’établir à quel point notre Premier ministre est véritablement libre de tout reproche pour des actes profondément immoraux. Il est propre, nous a-t-il dit : à lui de nous le prouver maintenant sans l’ombre d’un doute. C’est de sa moralité tant passée qu’à venir qu’il est question ici. Ainsi que de ce à quoi la population peut s’attendre de sa part durant les 5 années à venir… 

 

A. Jean-Claude Montocchio