Chères citoyennes et chers citoyens,

Notre chronique de cette semaine, qui paraît ci-dessous, est adressée à un groupe de patriotes dont on n’a pas encore entendu parler jusqu’ici au cours de cette campagne électorale. Ces oubliés, qu’on n’a aucune raison de laisser dans l’ombre avant le 7 novembre, ce sont ces grands Mauriciens qui assurent, depuis maintenant très longtemps, le financement des partis politiques, et qui sont particulièrement actifs dans les semaines précédant les élections générales. C’est deviner qu’à quelques rares exceptions, ils sont très occupés actuellement.

Leur groupe est constitué de personnes dites ‘friquées’. Dans notre vocabulaire local, on s’y réfère en les appelant ‘les gros paletots’. Têtes des grands groupes sucriers, industriels, commerciaux, touristiques et financiers, banquiers et assureurs, gros bookmakers et autres privilégiés à qui le dynamisme personnel, les fortes compétences et le mérite ont apporté beaucoup de moyens, ils assurent juste avant le début de chaque quinquennat une subsistance confortable aux politiciens de notre pays afin que ces derniers aient les moyens d’organiser pour nous des consultations que nous qualifions de « démocratiques ».  

Vous nous excuserez : une fois n’est pas coutume, nous allons nous adresser à eux cette fois-ci directement, sans utiliser le ‘nous’ habituel et, vous le verrez, dans un style un peu particulier. Nous les appelons pour la circonstance des ‘pontes’, ce qui signifie en bon français et sur un ton familier « celui qui fait autorité dans sa profession ».

————————————————————-

Très chers pontes,

Le moment tant attendu est arrivé !  Avec ces élections tout proches, vous allez encore une fois avoir l’occasion de montrer votre générosité, grâce à un geste financier de grande sincérité et de noblesse dans la préservation et les progrès de notre démocratie.

Ne perdez pas de temps ! La consultation populaire, comme vous savez, va avoir lieu dans un peu moins de deux semaines. Votre sens aigu de l’anticipation vous aura permis, sans aucun doute, de mettre de côté les fonds que vous réservez à la classe politique, du moins à sa partie et à ses partis qui, selon vous, auront des chances de nous montrer ce qu’est la bonne gouvernance pour un nouveau quinquennat.

Grâce à vos gestes spontanés envers les partis politiques qui comptent vraiment chez nous, vous allez pouvoir « financer les élections en partie, pour aider la démocratie », comme le disait de manière si juste et appropriée l’un des vôtres à Port-Louis, début juillet 2014. Nous le savons bien, ce 33ème degré de l’expertise comptable n’est pas le seul à avoir choisi d’afficher son aide à l’épanouissement de la démocratie locale. Nombreux sont ceux d’entre vous qui avez depuis longtemps contribué à faire évoluer la politique dans une direction qui honore « la partie de nos concitoyens dont la vive intelligence joue un rôle électoral décisif », soit ces nombreux électeurs qui, comme vous savez, manifestent dans leur vote un sens très aigu de ce qu’est la dignité et le respect de soi. Encore une fois, votre apport sera crucial dans ce processus.

Grâce à vos injections déterminantes en faveur notre évolution politique et au bon usage que les chefs de partis ont fait d’elles, notamment en éduquant le peuple et en l’initiant au civisme, au sens critique, à ses devoirs et ses responsabilités, tout le système politique et social a fortement changé à Maurice, la manipulation des masses n’a plus cours et nous avons maintenant la chance et le privilège de vivre dans une île ordonnée, propre, belle, solidaire, développée et en progrès continu. Grâce à vous, du moins en partie !

En effet, que serait-il advenu de nous, peuple de Maurice, si vous n’aviez pas décidé depuis de nombreuses décennies de participer au financement des activités de nos grands partis, et permettre ainsi à toute la communauté de mûrir et de devenir ce symbole de perspicacité, d’intelligence, de patriotisme et de persévérance qui force l’admiration pour notre île, tant localement qu’à l’étranger ?

Au nom de Dieu, du moins de ce Dieu pour ceux d’entre vous qui êtes croyants et religieux et qui pratiquez votre foi, nous vous en remercions.

Comme vous savez, la tradition des dons généreux aux politiques est ancienne chez nous. Nous pensons en particulier à ces fonds qui ont régulièrement été versés au Ralliement mauricien, puis au PSMD, dans les années 1960, puis aux autres partis politiques depuis 1976 !  Pensez que, lorsque les temps étaient durs et qu’un ‘export duty’ de 20 % frappait nos exportations de sucre, Seewoosagur Ramgoolam vous a compensés pour votre stoïcité et votre abnégation avec des décorations ‘Kt.’, ‘CBE’ et autres ‘CMG’ !

Pensez aussi à ces initiateurs de gestes donateurs au grand cœur (suivis après par d’autres) qui, pour pallier les manques de fonds de S. Ramgoolam, ont accepté de jouer le jeu et de permettre à Air Mauritius, société d’État en 1978, de devenir en quelque sorte l’ancêtre de la communauté des donateurs réguliers d’aide financière au Ptr, au MSM et au MMM, et donc de passer ce cap difficile de notre histoire où même le PIB du pays avait reculé. Que serions-nous devenus sans ces apports, qui ont augmenté en nombre et en volume au fil des ans, dans l’organisation et la tenue d’élections au travers desquelles la démocratie a tant progressé chez nous ?  

Et grâce à vous, du moins en partie, les résultats sont là, probants et éclatants !  Grand merci, pontes !  Voyez vous-mêmes, nous sommes maintenant fermement installés dans un système qui se distingue par certains aspects particulièrement positifs et favorables de la vie politique : nos leaders, ceux des grands partis traditionnels du moins, sont intègres, honnêtes, sincères, compétents et dynamiques ! Notre pays s’affiche comme un modèle de moralité publique, de sécurité (notamment physique et routière), de comportements responsables, de discipline, de sobriété et de développement économique soutenu. Le pays ne peut donc que vous dire : continuez ainsi !

Il y a bien des informations qui nous parviennent de l’étranger, entre autres de magazines sérieux comme The Economist, qui font état de toutes sortes d’analyses passant à côté de la réalité de notre île. Ainsi, ils qualifient ces donateurs qui font tant de bien chez nous du qualificatif odieux de ‘crony capitalists’ (un capitalisme de réseau incontrôlé, en quelque sorte), et ils disent que ceux qui effectuent ces dons ‘undermine trust in the state, misallocate resources and stop countries and true entrepreneurs from getting rich’.

Faux, disons-nous, bien fermement !  Grâce, en partie du moins, à vos dons, les politiciens de tous bords ont appris à rester objectifs et modérés, à préserver le fair-play que sous-tend notre Constitution, à nous débarrasser de la corruption, de la drogue, de l’indiscipline, de la laideur, des atteintes à l’environnement et à bien d’autres éléments qui nous pénalisaient tant au départ. Les Mauriciens vous doivent cette vérité, au moins !

Avez-vous déjà réfléchi aux montants que vous allez pouvoir offrir cette fois-ci aux leaders politiques ? Avez-vous pensé à la répartition de votre bourse entre les différents partis que vous avez sélectionnés ?  Vous allez donner plus à qui ?  À la réflexion, je vous prie de m’excuser pour ces questions indiscrètes. Je vous sais suffisamment perspicaces et avertis pour vous rendre compte de mon impertinence et ne pas y donner suite. J’ai manqué de délicatesse…

Je sais bien que vous prendrez grand soin de vous assurer que vos dons équilibrés et adéquats promeuvent des élections bien organisées, dans l’ordre et la tolérance entre les partis, et que notre électorat maintenant très éclairé saura faire des choix judicieux et avisés qui garantiront la pérennité de nos grandes avancées depuis l’indépendance.

Je pense même que la patrie doit vous démontrer sa reconnaissance et son appréciation. Et c’est la raison pour laquelle j’ai en tête une idée : celle de procéder à une collecte dans le but de faire ériger dans un avenir pas très lointain, à la Place d’Armes à Port-Louis, une stèle en votre mémoire et celle de vos ascendants, afin que ceux qui viendront après nous sachent se rappeler ce que la patrie vous doit dans son éloquent cheminement. Sur le fronton de cette stèle pourrait être gravée une belle inscription, comme suit :

À nos valeureux pontes du secteur privé

pour leur contribution déterminante apportée

aux instances politiques de notre cher pays

dans le développement et le raffermissement

toujours plus prononcés de notre démocratie

dans la sensibilisation de la communauté entière

à ses devoirs envers la mère-patrie bien-aimée

ainsi que dans leur participation significative

à notre développement économique et matériel.

Qu’ils en soient remerciés et honorés à jamais !

 

Vous, nos valeureux capitaines d’industrie, vous reconnaîtrez aisément dans ces mots qui traduiront toute notre sympathie, notre affection et notre profonde reconnaissance. 

Pour l’avenir de notre chère île Maurice, donnez donc aussi généreusement que possible ! Comme toujours, nos grands leaders sauront se servir judicieusement de vos abondantes ressources, gagnées grâce à vos grandes compétences, votre ingéniosité, vos initiatives astucieuses, votre dévouement pleinement désintéressé et votre comportement exemplaire.

L’île Maurice et tous ses habitants vous signifient leur pleine gratitude pour votre inestimable aide à leur marche en avant continue. Ils vous doivent beaucoup, tout compte fait et additionné !  Vivent vous tous !

 

A. Jean-Claude Montocchio