IN VIRUS VERITAS…
Lettre ouverte au Docteur Vasantrao Gujadhur
Bonjour cher Docteur,
Ainsi donc, lors d’une déclaration récente, vous avez déploré le comportement des Mauriciens dans la situation difficile actuelle, un comportement qui selon vous est « inexplicable ». Inexplicable, dites-vous ?
Allons, Docteur ! L’explication est simple, en fait : après plus d’un demi-siècle de laisser-aller, de démissions morales, de collusions, de renoncements et de lâcheté de la part de nos Premiers ministres successifs et de nos autres grands politiciens, à quoi peut-on s’attendre d’autre ? Que les Mauriciens, dans leur vaste majorité, sortent de leur incivisme, de leur indiscipline, de leur « foupamalisme », de leurs égocentrismes et de leur débilité de longue date pour devenir du jour au lendemain des gens responsables, disciplinés et solidaires ?
Vous êtes un scientifique, et il est normal que certains aspects des sciences humaines et sociales vous échappent. Sachez quand même qu’il n’est vraiment pas facile d’éduquer tout un peuple à un comportement responsable, ordonné, discipliné et réfléchi en moins d’une génération, et plus sûrement deux. Un peuple, ça s’éduque, pour autant que le courage, la détermination et la manière de procéder des gouvernants soient au rendez-vous. Ce qui n’a pas été le cas depuis avant l’indépendance…
On peut bien obliger les membres de la communauté, à force de les forcer (comme ces jours-ci) de respecter certaines consignes dans leur comportement, mais ce sont là des situations où, les services d’ordre repartis, le naturel reprendra vite ses droits dès la levée de notre période de confinement ou, éventuellement, de nos confinements successifs. L’influence de la culture d’origine, l’absence de valeurs, de dignité et d’amour-propre et le laisser-aller omniprésent reprendront rapidement le dessus et nous nous immergerons dans notre désordre et notre léthargie de toujours bien rapidement.
Des cinq Premiers ministres que nous nous sommes donnés avec notre constitution bancale depuis 1968, aucun n’a voulu « met lord », soit instaurer un minimum de rigueur (avec tout ce que cela implique) dans le pays, sans lequel aucun réel développement, dans le plein sens du mot, n’est possible. Ceux des Mauriciens qui ont réussi à sortir de cette ornière physique et mentale – en d’autres mots, ceux d’entre les Mauriciens qui ont développé une autonomie intellectuelle et un sens critique – sont obligés bien malgré eux de subir tous les jours de leur vie les nombreux inconvénients que cette situation bordélique leur cause.
Il n’y a qu’à consulter les pages Facebook des Mauriciens avertis pour constater combien est vive la frustration que provoque la vision d’un pays dépérissant moralement et devenant de plus en plus sale physiquement, ainsi que la tristesse et l’impuissance éprouvées en face d’une gestion truffée d’incompétence, de combines et de démission de la part de ceux en charge de notre foutu pays.
Voyez-vous, cher Docteur, ceux chez nous supposément « responsables » de l’orientation de notre destin ont toujours renoncé – par inconscience et/ou par calcul – à instaurer une véritable discipline dans notre île, très probablement, pour ne pas dire sûrement, à cause du fait qu’un peuple dont la communauté principale est culturellement adepte du « chaos organisé » reçoit mal le combat que peut mener un gouvernement contre les comportements desservant l’intérêt et le bien-être général.
Toute tentative de « met lord » dans notre pays est vouée à l’échec, car il y a maintenant longtemps que le Mauricien lambda ne souffre plus que l’on puisse lui interdire de continuer à se comporter comme cela lui convient, qu’un tel comportement aille contre le civisme élémentaire et l’intérêt général ou pas. À Maurice, la liberté des uns ne s’arrête très souvent pas là où commence celle des autres. À ce point de vue, notre société est encore moyenâgeuse, pour ne pas dire archaïque, et ce qu’il faudrait accomplir pour faire émerger une société moderne à Maurice est tout simplement gigantesque.
Au succès de Singapour, il y a une seule explication : Lee Kwan Yew, en vrai leader, a motivé son peuple et l’a guidé dans une seule direction, celle de l’ordre, de la discipline et du progrès. Ce qui l’a aidé, de toute évidence, est l’héritage culturel reçu à travers le confucianisme. Si on veut facilement savoir quel est l’avenir d’un peuple, il suffit de regarder son passé, ses comportements et son optique courante.
Chez nous, à ce point de vue, l’optimisme n’est de mise que si l’on se munit de détermination, de patience et de dépassement de soi pour dégager des résultats qui, encore une fois, n’arriveront qu’à terme. La situation dans laquelle nous nous trouvons traduit tout simplement le renoncement de nos politiciens – pour des raisons éminemment électoralistes – à imposer un minimum de discipline et de comportement de responsabilité aux Mauriciens, sans distinction.
Ils ont en fait bien saisi (inconsciemment, s’entend) que les hommes, même dans les sociétés modernes, sont davantage des êtres culturels que des agents économiques. Pour eux, il est nettement moins risqué, en termes de (maintien de) leur popularité, de voter des lois que de s’assurer qu’elles soient subséquemment respectées, surtout lorsqu’ils ne sont pas très exigeants sur le plan moral envers eux-mêmes. Nous en savons quelque chose …
Mais il y a plus grave encore, Docteur !
Premièrement, tout observateur objectif de la politique mauricienne voit bien que le bilan de Pravind Jugnauth depuis le 8 novembre 2019 est désastreux. Depuis cinq mois, son parcours n’est qu’exclusivement parsemé de décisions autoritaires, déjà nombreuses. En voici des exemples : interruptions du débat démocratique (renvoi des sessions et suspension de l’Assemblée nationale), retards (le rapport du CP sur l’accident de Wootton est toujours en attente), refus de prendre action (failles dans la comptabilité nationale), choix de personnes non judicieux, emprise quasi-totale sur les contre-pouvoirs, trafic d’influence, népotisme et, surtout, refus de rectifier la déclaration d’un maudit socio-culturel local l’associant, dans une certaine mesure, à un nationaliste du sous-continent indien.
Les bévues dans la fermeture des supermarchés, la saga des boulangeries, le refus des autorités de divulguer un minimum d’informations à propos des mesures (tardivement) prises concernant le Covid-19, une communication défaillante et approximative et la pénalisation inacceptable d’une plate-forme numérique (Top FM) par la suspension temporaire de ses émissions en disent beaucoup sur le niveau lamentable de la capacité de Pravind Jugnauth à diriger le pays avec l’autorité, le leadership et la compétence que mérite impérativement la situation que nous affrontons.
Deuxièmement, le peuple de Maurice paye, bien malgré lui, les conséquences pratiques des rapports extrêmement tendus entre les Jugnauth et Navin Ramgoolam depuis une dizaine d’années. Pravind Jugnauth et Navin Ramgoolam se haïssent, comme chacun sait. Ce n’est pas un combat pour le pouvoir qu’ils mènent, mais une véritable guerre de destruction de l’ennemi d’en face. Or, une démocratie représentative, une vraie, qu’elle soit westminstérienne ou autre, présuppose l’existence de rapports tant soit peu civilisés entre ceux qui détiennent le pouvoir à un moment donné et l’opposition. Des débats sains, une collaboration consentie et des relations souples en sont la garantie.
À Maurice, cette dimension a été absente du paysage politique depuis au moins les 30 dernières années : les intérêts supérieurs du pays passent au second (voire au troisième) plan. Le bon peuple doit en subir les conséquences : coups bas, mesquineries, non-respect délibéré à la réglementation, accaparement des prérogatives et des compétences, utilisation irresponsable des fonds publics ainsi qu’un intense trafic d’influence sont ce qui s’offre à nous, même en période d’urgence nationale. Le vrai drame, c’est qu’il existe encore suffisamment de débilité et d’inculture dans notre pays pour faire pencher les résultats des élections en faveur de ces dangers publics.
Le seul politicien en fonction à prôner une mise en commun des idées et des initiatives entre hommes publics pour lutter ensemble contre la pandémie est Arvin Boolell. Il est le seul, semble-t-il, à avoir compris que la situation est tellement grave que les rapports infects entre les gouvernement et l’opposition doivent être mis de côté temporairement, et que la priorité absolue est et doit rester la forme de combat à mener ensemble contre la pandémie jusqu’à sa disparition. Il a parfaitement compris que la solidarité, la confiance et un minimum de rapports civilisés sont essentiels dans le comportement de la communauté entière vers le sauvetage du pays.
Pravind Jugnauth ne l’a-t-il pas compris ? Faut-il en déduire qu’il place le maintien de ses prérogatives au-dessus du bien-être de la population ? Ne se rend-il pas compte que la situation est telle que la santé doit passer actuellement avant la politique partisane ? Faut-il lui expliquer que la bataille du coronavirus se gagnera quand toutes les forces, les idées, les contributions et les mesures seront réunies et qu’aucun politicien ne tirera profit de ses contributions sur le dos des contaminés du pays ? S’il ne prend aucune action, nous lui jetterons en pleine figure le fait suivant : son comportement est abject et indigne !
Troisièmement, Docteur, constatons un échec, profond, de notre pays dans sa marche en avant : celui du manque de patriotisme, de cohésion spontanée et de rassemblement des énergies autour d’une épreuve d’une rare intensité. La raison tient au fait que l’île Maurice continue à pratiquer le communalisme de toujours. Mieux encore : depuis 2015, les Jugnauth ont fortement privilégié l’occupation des hauts postes gouvernementaux par « nou bann ». Un tableau comparatif de ceux qui occupaient ces postes jusqu’en 2014 et les changements intervenus depuis le montrent très clairement.
Dans un pays multiculturel, ces prérogatives quasi exclusives sont une pratique néfaste. Le groupe bénéficiaire de ces nominations finit après un certain temps par ne pas comprendre que les politiciens puissent faire appel à d’autres membres de la communauté, largement exclus de ces processus, sans distinction dans ces appels. Comment le politicien peut-il être crédible et convaincant en lançant des appels à tous, après avoir privilégié précédemment une partie de la population seulement ?
Retenons enfin le fait qu’arrivé en 2020, le Mauricien lambda n’a toujours aucune formation politique de base, les quelques éléments tangibles d’un vivre-ensemble réussi à l’échelle nationale restent flous à ses yeux, la culture générale si indispensable à un comportement autonome réfléchi est toujours inexistante, et les vides psychologiques qui se manifestent dans la société ne sont pas près d’être comblés. Dans une mesure tout à fait insatisfaisante, nous sommes toujours démunis sur le plan civique, psychologique, sanitaire et politique, et les failles dans les capacités de nos politiciens au pouvoir à anticiper, prévoir, organiser, raffermir et contrôler les différentes situations auxquelles nous avons à faire face dans un laps de temps très court – comme c’est le cas actuellement – restent béantes.
Le confinement du peuple est révélateur de l’incapacité de nombreux Mauriciens à se plier à une discipline requérant une autonomie morale et intellectuelle, des efforts sur soi-même, et une conscience empreinte du sens des responsabilités envers les autres et envers soi-même. Comme le dit avec beaucoup de pertinence Michel Onfray, philosophe français, « le confinement est un terrible révélateur du vide existentiel qui peut habiter certains… Savoir vivre seul est une chose compliquée pour beaucoup. Le silence et la solitude effraient nombre de gens qui veulent vivre dans du bruit, du tintamarre, du mouvement, du bazar… ». À Maurice, nous le savons, le principal divertissement est dans la rue…
Il est clair aujourd’hui que nous avons failli à bien des égards, surtout en prenant autant de temps pour nous munir de masques, de gants, d’équipements pour les tests de dépistage et de ventilateurs. L’opacité des autorités centrales dans le traitement des informations vient s’ajouter à l’imprévoyance et ne permet même pas aux Mauriciens de savoir comment évolue la situation exactement. Une enquête sur le déroulement des faits durant la pandémie devrait s’imposer en temps et lieu, mais nous savons d’avance qu’elle n’aura aucune chance d’aboutir. Ceux qui nous gouvernent torpilleront toute initiative dans ce sens.
Ne pensez-vous pas quand même, cher Docteur, qu’il faudrait faire comprendre en haut lieu que, dans la situation actuelle, le gouvernement et l’administration des services sanitaires ne peuvent agir seuls ? Si l’on estime que le sanitaire doit transcender la politique et l’économie et que la solidarité est d’importance cruciale dans les circonstances, alors les autres forces vives du pays, l’opposition, la société civile et toutes les bonnes volontés ne doivent-elles pas avoir l’occasion de se mettre ensemble et de s’entendre pour contribuer pleinement à notre sortie de cette crise ?
A. Jean-Claude Montocchio
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Interessant! Pouquoi adressé au docteur Gujadhur!?
Le Doc Gujadhur a passé son message non seulement sur un ton magistal mais aussi avec un slogan (cocovid) qui est devenu ‘virale’. Sa démarche semble avoir réussi.
Et vous cher monsieur meritez mes respects pour vous afficher pour vos convictions et non pas rester dans l’anonymat.
Merci Jean-Claude pour cette lettre qui explique bien les maladies, en sus du Covid-19, dont souffre l’ile Maurice et qui perdurent. L’ile avait une occasion parfaite, lors de d’indépendance, de se créer un peuple Mauricien, tout en conservant nos multiples ethnies avec tout le respect et l’acceptation voulus. Mais comme il est bien évident, ceux qui ont été et sont au pouvoir, de quelle couleur politique ils appartiennent, n’ont pas voulu d’un peuple uni. Diviser c’est garder le pouvoir, semble dire l’adage populaire et qui, malheureusement, est si vrai. Le manque d’éducation surtout dans les domaines politique, des sciences sociales et de la moralité semble être la faiblesse du peuple et ceux qui sont au pouvoir, étant bien conscient de ce fait, s’en servent à leur avantage.