Avec nos plages et nos cadres magnifiques, nous sommes un paradis ! Avec nos aménagements urbains sauvages, nous sommes un purgatoire, au mieux ! Tant pis pour les touristes qui constatent, arrivés sur place, que la pièce qu’on leur propose a deux faces, bien distinctes l’une de l’autre.

Et il y a enfin, pour être complet, les comportements de cette partie assez importante de la communauté locale toujours ancrée dans sa naïveté, son laxisme, sa passivité et sa subjectivité. Les nerfs de ceux qui ont réussi à prendre conscience de toutes les failles et les entraves du système et à s’en extraire sont mis à rude épreuve – Facebook en porte témoignage tous les jours -, mais le choix est simple : s’adapter et subir, ou dégager.

Sur cette toile de fond très contrastée, les récentes élections générales ont mis en évidence le fait qu’une consultation du peuple vient y rajouter tout un nombre de contraintes à affronter, de parti-pris à prendre ou à subir, et d’émotions à absorber sans retenue ou à mettre à l’épreuve de notre raison et de notre sens critique, si faible soit-il.

Oui, cette circonstance exceptionnelle nous en met plein la vue, assez brutalement, avec certains comportements et des situations dont nous ne sommes pas conscients en temps normal ou que nous voulons ignorer. Passons-les en revue.

I – Opacité et absence d’informations

L’ensemble des Mauriciens pensent que sur un rocher densément peuplé situé au milieu de l’océan, l’anonymat n’existe pas et que tout finit par se savoir si l’on est en quête d’informations précises. En fait, cela est vrai dans une certaine mesure seulement, pour la raison que ceux qui veulent se cacher ou cacher quelque chose savent pertinemment bien que, dans un tel cadre, la dissimulation n’est possible que lorsqu’on y attache une importance particulière et qu’on la soigne en permanence. Allez donc tenter de vous le faire confirmer par celles et ceux qui évoluent dans des alcôves sombres où il est difficile de deviner leur identité. Vous perdrez votre temps !

Il en va de même pour des informations à caractère public sans lesquelles il est difficile pour toute société d’identifier ses contraintes et ses préoccupations, et de tenter d’avancer. L’île Maurice est un pays où les sondages d’opinion et les enquêtes sont extrêmement rares, et il est donc presque impossible d’anticiper des politiques susceptibles de contribuer à la prise de conscience des différents aspects de notre société et des tendances qui s’y manifestent.

  • Le seul sondage d’opinion réalisé pendant la période précédent les dernières élections (montrant assez clairement la victoire du parti déjà au pouvoir) n’a été rendu public qu’après leur déroulement. Tant d’autres auraient été possibles !
  • Ainsi, quel est le profil type du sympathisant d’un parti politique donné à Maurice ? On l’ignore. Dans une telle situation, comment peut-on suivre l’évolution et les tendances dans l’opinion publique et agencer des actions de sensibilisation par rapport aux observations recueillies ? Impossible de le savoir !

Déterminer les raisons exactes pour lesquelles ces informations ne font pas l’objet d’un intérêt plus précis serait sûrement très révélateur de tout un comportement dans le pays. Nous avons bien notre petite idée sur cette question, mais sans preuves, nous ne pouvons que conjecturer.

II – Absence de tout débat contradictoire pendant la campagne électorale

La candeur d’une partie substantielle de l’électorat de Maurice (et de Rodrigues) est assez désespérante. On a bien entrevu un affrontement à la télévision entre deux chefs de partis, qui n’a pas abouti. C’est tout, et c’est tout simplement risible ! Avec un électorat plus averti, on aurait commencé par organiser des débats non seulement en période électorale, mais aussi en cours de mandat, et régulièrement.

Nous devinons sans peine que des débats télévisés ouverts, avec des ministres répondant à des questions ne leur ayant pas été communiquées d’avance, et donnant la possibilité à ceux les questionnant de revenir à la charge avec au moins une question supplémentaire, auraient montré la vacuité intellectuelle et la superficialité dans la connaissance des dossiers de ces mêmes ministres de manière assez spectaculaire, ce qui aurait au moins permis de jauger de leur maîtrise ou la superficialité de leurs connaissances de nos dossiers régaliens. Impossible à Maurice ! Ils ont vraiment de la chance, nos gouvernants, vu le faible niveau intellectuel de nombre de nos électeurs, au ras des pâquerettes !

III – Amateurisme et désordre dans la gestion des centres de votes et des bulletins

Là, il est bien question d’une situation en pleine dégradation, aussi prononcée que la décadence morale moyenne des Mauriciens. Les événements des trois dernières semaines montrent de manière spectaculaire combien le désordre mental ambiant dans l’île se traduit par un désordre et une absence de rigueur dans les comportements et les tâches à accomplir par des personnes à qui des missions spécifiques, sans réelle complication, ont été confiées. Et nous sommes en pleine année de grâce 2019, munis pour ainsi dire d’un Commissaire électoral qui s’est supposément bâti une grande réputation à l’international, en agissant dans un cadre local où les règles flexibles règnent en maîtres !

Nous avons eu l’occasion en 1959 de participer, malgré notre jeune âge, à un dépouillement de votes le lendemain des élections générales qui se sont déroulées cette année-là, en tant que représentant et scrutateur d’un parti politique. Ce dépouillement a eu lieu à l’école du gouvernement de La Louise. Autant qu’il nous en souvienne, il s’est déroulé avec simplicité et rigueur, la circulation des votes individuels empruntant un circuit autour d’une grande table garantissant rigueur, rapidité et précision.

C’est lors de cette même élection que la Grande-Bretagne a accepté d’octroyer à nos gouvernants la prérogative d’exercer en tant que « gouvernement responsable ». Il semble bien que le sens de la « responsabilité » des « responsables » a donc évolué quelque peu depuis soixante ans.

IV – L’inapplicabilité de plus en plus grande de notre système électoral

Nous l’avons dit ci-dessus : l’absence d’informations sur les choix des votants et des facteurs qui régissent ces choix ne nous permet que d’émettre des points de vue à caractère approximatif et spéculatif sur l’évolution des préférences partisanes dans l’électorat. Il est d’autant plus difficile de le faire que les largesses pré-électorales, qui représentent concrètement des achats de sympathie par les politiciens juste avant les consultations, viennent biaiser leurs résultats. Dans ces cas, quelles sont les motivations et le degré d’asservissement à l’argent de la partie de l’électorat concernée. Est-elle composée uniquement de citoyens nécessiteux ?

Avec cette considération à l’esprit, avançons une tentative d’explication, malheureusement basée uniquement sur l’observation, et donc ne se rapportant pas entièrement à la réalité du terrain : nous semblons nous avancer de plus en plus à Maurice vers ce qu’on pourrait appeler, forcément de manière simpliste, un affrontement entre deux camps sociologiques. En effet, à notre sens, la perte de vitesse d’une partie traditionnellement majeure de notre électorat dit rural, surtout « villageois », encore rapproché du secteur primaire, peu éduqué en général et nullement gêné de confier un mandat à un parti dont le chef n’affiche aucune sensibilité à un minimum de valeurs morales, est assez manifeste.

Si l’on fait abstraction des vrais nécessiteux parmi cet électorat, pas uniquement composé d’ailleurs de membres de la communauté majoritaire, pour qui le choix véritablement politique n’a qu’une importance toute relative, on peut déduire schématiquement que c’est la partie de notre communauté nationale la plus conservatrice et surtout la plus faible, celle qui dépend grandement du soutien des organisations dites « socio-culturelles » ainsi que de la générosité et de l’appui du gouvernement, qui est concernée ici. Elle constitue la base politique et sociologique du régime nouvellement élu. Et les tendances dégagées le mois dernier démontrent assez clairement que la diminution plus avant du nombre de ceux constituant cette partie de l’électorat – jusqu’au jour où il ne sera plus possible pour elle de continuer à influencer les résultats des consultations – est inéluctable. Le réveil à cette réalité pourrait bien être très douloureux pour elle le moment venu.

D’ailleurs, ce bouleversement aurait bien pu déjà se produire sans la « contribution » du système électoral actuel, et sans l’indécence de Navin Ramgoolam à vouloir maintenir sa présence au sein du Ptr à tout prix. Il paraît maintenant évident que l’éviction d’un Pravind Jugnauth de plus en plus autoritaire et de tout ce qu’il représente de nocif et de dangereux pour notre démocratie passera obligatoirement, entre autres, par le retrait à court terme de Navin Ramgoolam et de Paul Bérenger en tant que leaders de leurs partis respectifs. Quelque part, ce sont bien l’immense et bien déraisonnable soif du pouvoir de ces deux politiciens qui ont donné une nouvelle vie aux Jugnauth en 2014, avec toutes les conséquences que l’on sait aujourd’hui en termes de qualité médiocre et approximative de la gouvernance de notre pays.

Et les premiers signes du nouveau mandat du MSM ne sont guère encourageants !

V – La difficulté des petits partis à émerger

Sans représentation proportionnelle, il était anticipé que les nouveaux partis émergents auraient de grosses difficultés à se faire une place, tant soit peu modeste, au sein du législatif. Et c’est bien ce qui a été constaté, d’autant que les plus valables d’entre eux avaient misé sur des programmes relativement cohérents, fouillés et incisifs.

Voilà une preuve supplémentaire que les idées et les propositions ponctuelles, accompagnées du traditionnel sentiment d’appartenance à un groupe précis et à l’identification à un parti politique précis, continuent à prendre le dessus sur d’autres considérations nettement plus importantes qui auraient certainement permis au pays de progresser plus rapidement. Le chemin à parcourir est encore bien long…

VI – Le rôle des financements vagues et indéfinis

Au dire de certains politiciens, beaucoup d’argent a circulé pendant les dernières élections. On n’en saura pas davantage. Nous estimons, pour notre part, qu’il est tout à fait possible que certains partis dépendent moins, voire de moins en moins, de leurs sources de financement traditionnelles. Certaines indications, si faibles soient-elles, nous poussent à le penser. Si cette tendance se confirmait, un autoritarisme déjà manifeste se précisera sans le moindre doute. Cette possibilité bien réelle nous permet donc d’affirmer, une nouvelle fois, combien un financement neutre de l’organisation et de la tenue des élections à Maurice devient une véritable urgence. Autrement, la situation actuelle sera insoutenable.

Mais nous devons aussi prendre conscience du fait qu’une neutralisation des financements des partis politiques par les petits et les gros pontes du privé ne résoudra pas de manière définitive le problème du trafic d’influence entre certains gens d’affaires et certains hauts fonctionnaires, si tant est qu’il existe toujours. Pour avoir observé discrètement certains agissements sous nos yeux dans un passé un peu lointain maintenant, nous pouvons affirmer que des « gros » de la place avaient leurs antennes (leurs répondants, pourrait-on dire) dans certains ministères, et nous devinons que ces dernières considéraient alors certains dossiers avec bienveillance. Birds of the same feather… Est-ce toujours le cas ?

VII – Une structure représentant une «société civile de vigilance» s’impose

Peu de temps après le début de nos activités sur Facebook, nous avons évoqué de manière succincte dans l’une de nos chroniques la nécessité de la mise sur pied à Maurice d’une structure légère de la société civile, capable de faire pendant et d’agir comme chien de garde par rapport au monde politique (y compris le judiciaire et l’administration) et à celui de l’entreprise.

J’indiquais que certains pays africains plus sous-développés que nous avaient déjà mis sur pied ce type de structure, pour défendre et promouvoir les composantes de la société civile et la défendre contre l’opportunisme et la mégalomanie des politiciens et des gens d’affaires.

Son apparition s’est en fait produite samedi dernier, le 30 novembre, à travers la manifestation du mouvement « Nou lavwa nou dignite » à Port-Louis. Comme l’a dit l’un de ceux qui ont pris la parole au Jardin de la Compagnie, c’est bien un fait historique qui s’est produit. Jamais auparavant à Maurice, un mouvement à caractère social et non politique ne s’est produit jusqu’ici, et c’est dire son intérêt.

À notre avis, il s’agira maintenant de le structurer et d’assurer sa mission de chien de garde de la société civile et le maintien de ses activités à travers une plateforme légère et souple. Notre société civile doit tirer sa tête hors des profondeurs et maintenir une constante pression sur le monde politique, et sur Pravind Jugnauth en premier, pour balancer l’influence trop importante qu’ont certains politiciens et gens d’affaires dans notre société.

Il est crucial que « Nou lavwa nou dignite » assume et joue pleinement son rôle dans le pays. Nous consacrerons l’intégralité de notre prochaine chronique à formuler des propositions de mission et d’actions concrètes à ce mouvement, au cas où il pourrait en tirer profit. Nous prévoyons enfin de sensibiliser les membres de la diaspora à exprimer leur sympathie et apporter leur précieuse aide à l’édification et la réussite de ce mouvement.

 

A. Jean-Claude Montocchio