Chers compatriotes,

Dans cette chronique, nous allons vous entretenir de la tentative de Pravind Jugnauth de nous imposer un système de financement des élections par les pontes du secteur privé et des contributeurs individuels. Notre système démocratique est en jeu…

Au moment où nous rédigeons ces lignes, tout indique que cette initiative va aboutir à une double claque bien méritée, administrée par les représentants de l’opposition à l’Assemblée nationale, à l’égard du projet de loi concernant ce financement, que celui de la réforme électorale accompagne.

Si le projet de loi est rejeté, l’autre partie qui va aussi prendre sa claque est évidemment Business Mauritius et son président, ce qui sera loin d’être un moindre mal. Le soutien qu’aura manifesté cette institution faîtière du secteur privé, juge et partie ‘donnante’ dans ce cadre, en dit long sur son rôle dans les relations entre le secteur privé et le gouvernement en place, quel qu’il soit, l’argent n’ayant pas d’odeur. Or, il faut à un moment ou un autre poser sur la table la question de principe : l’obligation morale, ça existe ? Et jusqu’à quel degré exactement ?

Depuis deux semaines que le Premier ministre, qui est aussi ministre de tant d’autres secteurs, a fait paraître son texte de projet de loi, Maurice a eu droit à de nombreux échanges de qualité à son propos, presque essentiellement sur des plateformes numériques en streaming telles que TOP FM Mauritius, qui montrent clairement que le niveau des débats sur la vie politique locale s’améliore, et que les échanges qui y ont lieu gagnent en qualité et en intérêt (aussi longtemps que ce n’est pas un politicien agressif et pénible à écouter qui occupe l’écran).

Tant mieux pour la démocratie mauricienne ! Nous souhaitons à Murvind Beetun et à ses collègues une bonne continuation réussie de leurs programmes. Les émissions en direct que propose cette plateforme montrent clairement qu’avec peu de moyens, on peut faire nettement mieux que la station de diffusion supposément « nationale » du MSM ainsi que d’autres médias…

Pour revenir brièvement sur le contenu de ce projet de loi, il n’y a plus grand-chose à démontrer à propos de son caractère malsain et inapproprié : son adoption ne ferait que perpétuer un trafic d’influence qui dure depuis des décennies à Maurice et qui doit être combattu sans pitié, car il symbolise tout ce que Maurice a de pire en termes de copinage, de népotisme et de favoritisme. Comme toujours dans ces cas-là, ce sont ceux qui ne peuvent pas jouer dans la cour des grands (tant mieux d’ailleurs, à ce point de vue) et les gens honnêtes qui sont pénalisés. Et si ceux-ci sont perçus ici ou là comme des naïfs ou des ploucs, eux possèdent au moins deux qualités sans lesquelles l’homme n’est qu’un petit être : la dignité et l’amour propre !

Trois aspects fondamentaux de cette tentative de modifier pour le pire le financement des élections à Maurice n’ont toutefois pas encore été abordés jusqu’ici et, compte tenu de leur grande importance, nous allons les examiner tour à tour : i) l’attitude indécente de nos parlementaires envers certains changements qu’ils apportent à notre vie politique alors qu’ils sont directement concernés par eux ; ii) l’impérieuse nécessité de confier à l’État tant l’organisation que le financement des consultations électorales ; et iii) le problème du contrôle éventuel des dépenses électorales dans le contexte de laxisme, de léthargie et d’immoralité qui caractérise le pays.

I – Les députés peuvent-ils légiférer ou amender une législation existante sans l’aval du peuple ?

Seewoosagur Ramgoolam nous a imposé une constitution en 1967, et il nous a enlevé le droit de décider nous-mêmes du contenu de notre loi fondamentale. Cette année-là, c’est le Conseil législatif qui a adopté notre constitution, et non le peuple. En d’autres mots, on nous a volé ce qui n’appartenait qu’à nous d’adopter ou de rejeter, à travers un référendum à la majorité des votants.

Ce viol du principe de la souveraineté du peuple envers ses représentants n’a jamais cessé depuis. Ainsi, nos députés ont voté, de manière parfaitement indécente depuis 1967, diverses réglementations portant sur leurs propres rémunérations, l’emploi contre salaires des députés de la majorité qui ne sont pas l’un de nos bien nombreux ministres (en Suisse, il n’y en a que 7), les modifications de notre Constitution apportées au fil des ans et des circonstances, en ignorant totalement les principes fondamentaux qui régissent tacitement les relations entre le peuple et ses représentants.

Notre démocratie est de type occidental. Elle est appelée ‘démocratie représentative’, et le peuple est donc appelé régulièrement à choisir ses représentants pour gérer l’État à sa place. À la fin de leur mandat, ces représentants sont invités à rendre compte des actions prises pendant la période concernée. S’ils veulent procéder à des changements dans leur propre traitement, dans l’emploi de députés et dans la Constitution, ils doivent avoir l’élémentaire décence de les proposer dans leur manifeste électoral, afin d’obtenir le feu vert de ceux qu’ils souhaitent représenter.

Se servir eux-mêmes, ou changer la loi fondamentale au gré de leurs humeurs relève d’un machiavélisme et d’un paternalisme abjects. Une telle condescendance est condamnable. Si l’une ou l’autre de ces initiatives n’ont pas été prévues au départ, le seul recours témoignant du respect des représentants du peuple auprès de ces derniers est un référendum en cours de mandat. Aucun abus de pouvoir et aucune exception à ces principes fondamentaux ne devraient être tolérés.

La solution de la mise sur pied d’un comité d’élite (Select Committee) n’est qu’un pis-aller à éviter à tout prix, le mot final encore une fois devant revenir au peuple, et il est alors tout à fait fondamental, essentiel et impératif que les membres du public soient invités à venir exprimer leurs points de vue aux membres de cette instance. Les membres de ce Select Committee n’auront aucun droit moral, intellectuel et politique à siéger et à décider entre eux du sort du financement des élections, car ils sont eux-mêmes, ainsi que les partis qu’ils représentent, partie prenante de la décision devant être prise. Ce n’était pas à Pravind Jugnauth de consulter qui il voulait à Maurice sur ses propres idées et de venir en faire état après : c’est là une négation des règles qu’il doit respecter en tant que représentant élu des citoyens. Bien qu’il soit imbu de son importance (toute relative à nos yeux), il est des principes élémentaires qu’il se doit de ne pas perdre de vue durant son mandat.

Députés de Maurice, êtes-vous capables de prendre suffisamment de recul pour analyser les obstacles au développement que vous constituez parfois ? Êtes-vous en mesure de vous livrer à une pensée suffisamment réflexive pour renoncer à celles de vos initiatives qui pénalisent la bonne marche de la démocratie ? Êtes-vous, d’après vous, à la hauteur des véritables enjeux qui se présentent dans la vie de tous les jours à Maurice et dans les îles et qu’il faut affronter ? Avez-vous le courage nécessaire pour répondre à ces questions ? 

II – Seul l’État est en mesure de neutraliser durablement les agissements des sbires et des coteries locaux et étrangers

Ce n’est que ceux qui y trouvent leur intérêt qui peuvent prétendre que le projet de loi tel que présenté peut garantir la transparence du processus électoral à Maurice. S’ils sont tant soit peu convaincus de la justesse de ce qu’ils disent, ce dont on peut fortement douter, il ne peut alors s’agir que de personnes dont il faut se méfier, car ne comprenant pas ou ne voulant pas comprendre les réels dangers des financements par les pontes locaux.

Dans les systèmes évolués, on sait très bien que la seule et unique façon de garantir la propreté d’une élection consiste à en confier l’organisation à l’État. Même là, la méfiance reste de mise à chaque instant. Prenez le cas de Maurice : nos structures parlementaires et la mentalité très discutable qui domine chez les politiciens aboutissent au fait que notre corps législatif et notre corps exécutif ne bénéficient d’aucune séparation claire. Si l’on ajoute à cela la mentalité « to mem papa », on aboutit à une situation où le Premier ministre contrôle totalement l’exécutif et la partie du législatif constituée des membres de son parti et des partis associés : ils sont tous entièrement à son service en permanence. Est-ce dans un tel cadre flou et indéfini avec un minimum de précision que l’on décide de permettre au secteur privé de financer officiellement les consultations populaires dans le pays, sans préciser ce qui adviendra des apports ‘extérieurs’ ?  Si c’est ça notre démocratie, elle ressemble alors à s’y méprendre au macronisme français, de par lequel le président du pays est le chef politique incontesté d’à peu près toutes les structures importantes du pays et impose même son image sur les affiches pour les élections européennes (Qui a établi en 1961 qu’il devrait être obligatoirement au-dessus des partis ?) Avec ces chefs-là, on est en route sans diversion possible vers la déchéance morale et politique. Seuls les imbéciles ou les insouciants peuvent accepter de telles situations !

Ainsi donc, pour nettoyer la politique mauricienne des effets pernicieux des roupies, des jetons et des bakchichs, l’incapacité d’une majorité de citoyens de comprendre les réels enjeux du développement constitue une contrainte majeure. Quelle est la proportion de Mauriciens qui, en votant, évalue même de manière élémentaire la pleine signification du vote qu’elle accorde à un parti ou à un(e) candidat(e) ? Quand commencera-t-on à voter dans ce foutu pays pour des idées plutôt qu’uniquement pour de petits potentats de bas étage qui n’ont que leur propos démagogiques et dangereux à offrir à une population sans aucun sens des exigences d’une vraie démocratie ?

Et toi, peuple de Maurice, encore combien de temps vas-tu laisser exploiter intellectuellement, mandat après mandat, la majorité de tes membres par des politiciens qui ne te respectent pas et qui ont leurs propres priorités à soigner ? Te rends-tu compte des contraintes que tu infliges à l’île Maurice en élisant au pouvoir des politiciens du calibre de Navin Ramgoolam et de Pravind Jugnauth ? Es-tu conscient des frustrations que tu crées auprès de ces quelques dizaines de milliers de Mauriciens perspicaces qui ont maintenant largement dépassé le stade de l’octroi des faveurs béates que tu accordes à cette poignée d’opportunistes, et qui sont maintenant bien munis pour inspirer et réaliser un mauricianisme digne de ce nom ? As-tu une vague idée de ce que pourraient être tes réponses aux questions susmentionnées ?

Nota : Avis à ces « konne-tout » locaux qui estiment que l’organisation des élections par l’État en France n’empêche pas la corruption et le trafic d’influence de continuer à prévaloir. Le contrôle des élections par l’État fonctionne tout à fait correctement dans ce pays, d’ailleurs avec toute la rigueur requise. Ce qui vient ensuite pénaliser ce processus réussi, c’est ce qu’en font les élus eux-mêmes ainsi que les instances de contrôle post-élections pourries par l’infiltration dans leurs rangs d’individus biaisés politiquement. Chacun sait qu’en France, les instances judiciaires et constitutionnelles sont divisées par des considérations partisanes.

III – Dans le cadre mauricien, un éventuel financement des élections par l’État posera un problème aigu de contrôle éventuel des dépenses électorales.

On nage constamment à Maurice dans l’opaque, l’à peu près, la politique du ‘lakoz ou’ et celle du ‘less li all kumsa mem’. Le manque de rigueur et de discipline est tellement courant que l’on a pris l’habitude de considérer cela comme une situation normale, ce qu’il n’est évidemment pas.

Si l’on aboutit en temps et lieu à une situation où l’État mauricien (pour ce qu’on peut attribuer à ‘État’ comme signification à Maurice) prend en charge le financement des élections, deux mesures de grande importance devront y être intégrées : i) la constitution d’instances de contrôle composées des personnes rigoureusement compétentes, profondément honnêtes et PARFAITEMENT INDÉPENDANTES ; ii) un contrôle des dépenses mené tant à travers des livres comptables que sur le terrain lors des campagnes par des représentants de haut vol de ces instances indépendantes maîtrisant leurs prérogatives et leurs obligations parfaitement. Peut-on espérer y arriver à Maurice ?

L’aspect ‘grand village’ du pays où beaucoup de personnes se connaissent conduit souvent à un mélange inséparable entre ce qui est personnel et ce qui est professionnel. La longue tradition qui prévaut dans les bureaux des entreprises, en fonction de laquelle le personnel se sert de temps en temps des biens ou des services de faible valeur appartenant à ses employeurs est là pour en témoigner.

 

Nous voulons dire, avant de conclure, que nous continuerons à veiller sans relâche à la bonne marche de nos institutions dans l’île, en dénonçant ceux qui par cupidité, par stupidité et par avidité du pouvoir, empêchent notre démocratie d’avancer vers une situation infiniment plus honorable et satisfaisante qu’elle ne l’est aujourd’hui. Le développement se construit toujours sur ceux qui sont disposés à servir, et jamais sur ceux qui ne cherchent qu’à se servir…

A. Jean-Claude Montocchio