Chers compatriotes,

Nous devons exprimer notre profonde reconnaissance à Pravind Jugnauth pour ses nouvelles illustrations, cette dernière semaine, du fait qu’il n’a pas la dimension voulue pour occuper le poste de Premier ministre de notre pays. Il faut bien finir par en convenir : le hasard d’une naissance et d’un patronyme, même dans un paradis à peine excentré par rapport à celui du « to mem papa, to mem mama » ne garantit rien, loin s’en faudrait…

Beaucoup d’entre nous pressentions l’année dernière que la situation à Maurice continuerait à se dégrader si jamais Pravind Jugnauth revenait au pouvoir, à l’issue des élections de novembre dernier. Avant la tenue du scrutin, l’éventualité d’un tel retour de cet individu très moyen à la tête du pays était difficilement envisageable, comme vous vous en souviendrez. Toutefois, apparemment – et seulement apparemment – le MSM et ses alliés ont remporté ledit scrutin. Attendons voir !

Mais, ce que nous craignions avant les élections si jamais Pravind Jugnauth revenait au pouvoir, soit la dégradation plus avant de la situation dans le pays, tant à travers son autoritarisme, ses erreurs et ses omissions répétées que les tractations de certains de ceux qui gravitent autour de lui et l’influencent, les titularisations d’« intellectuels raffinés » dont il a directement ou indirectement la charge, sa démission – le mot n’est pas trop fort – en face de certains graves problèmes que le pays doit affronter, sans la moindre tentative de les combattre, tout cela est en train de se produire à une cadence soutenue, et notre avenir s’assombrit de plus en plus.

La liste des manquements de Pravind Jugnauth à ses devoirs élémentaires à la tête d’un système de gouvernement supposément « responsable » de ses actes depuis novembre dernier est déjà longue, et elle s’allonge régulièrement : autoritarisme, manque d’égards envers l’instance législative, incapacité à entreprendre des réformes fondamentales pour la « remise en état » du pays, notamment par rapport à la corruption, la drogue, les atteintes à notre environnement, nominations non dictées par des considérations objectives, indignité totale (participation à une conférence à Londres à l’invitation d’un pays qui a commis des actes de « cruauté envers l’humanité » à notre égard), projection d’une image extrêmement défavorable sur notre compte auprès d’étrangers, etc. Pas une seule semaine ne se passe sans que l’on ait à reprocher à cet individu des agissements qui portent atteinte à notre image, notre crédibilité, notre stabilité sociale et notre développement.   

Rien qu’au cours de la dernière semaine, deux faits majeurs venus affecter profondément notre pays, sa réputation et sa crédibilité sont directement imputables à Pravind Jugnauth : le premier tient au fait que, en capacité de ministre des Finances (et de beaucoup d’autres choses) jusqu’en novembre 2019, il ne s’est pas assuré pas que les recommandations exigées par le Eastern and Southern Africa Anti-Money Laundering Group (ESAAMLG), qui relève du Groupe d’action financière (GAVI (ou FATF pour son acronyme anglais)), soient intégralement traduites dans les faits à Maurice.

Il faut prendre connaissance à cet effet du rapport très explicite du ESAAMLG sur l’île Maurice en date de septembre 2019 (se rendre à https://esaamlg.org/index.php/Countries/readmore_members/mauritius  pour accéder au document). En résumé, cinq des « Recommendations » (24, 25 et 28, puis 32 et 33) du GAVI ne sont pas respectés comme il convient.

Lorsqu’on connaît comment des bandits internationaux arrivent à profiter de notre juridiction laxiste, de notre léthargie et de notre désordre mental pour se livrer à leurs activités abjectes, avec le concours d’individus, d’instances officielles locales et d’entreprises locales que le GAVI (FATF en anglais) appelle pudiquement « les professions non financières désignées », on peut se demander si les conclusions du ESAAMLG sont une surprise ou pas. Ainsi, les Mauriciens seraient choqués s’il leur était révélé le nom de l’entreprise financière s’étant « occupée » du dossier Dos Santos chez nous.

Le deuxième fait majeur de la semaine est, bien évidemment, la prestation remarquable (et observée jusqu’au Népal) de notre chou-chou de Speaker de notre auguste assemblée nationale. La journée du 28 février 2020 restera marquée d’une pierre blanche en raison de tout ce que cette journée a représenté d’ensauvagement de notre instance législative suprême. Comme vous savez, notre président de séance et de l’assemblée a détruit tout ce qui restait dans le siège de notre instance législative de dignité, de sobriété, de mesure, de décence et de respect envers le peuple. L’île Maurice de la rectitude et de l’amour-propre saura s’en souvenir. Et ses nombreux citoyens mauriciens et de la diaspora se sentant offensés par un tel manque de retenue, ne pouvant provenir que d’un bien triste sire de bas étage, ou même de sous-sol, sauront lui donner une leçon de tempérance et d’éducation le moment venu.        

Merci donc bien vivement, et surtout bien sincèrement, à notre Premier ministre pour son choix de ce nouveau Speaker : il indique très clairement que Pravind Jugnauth a une perception très élevée et une incision remarquable des qualités qui doivent prévaloir chez une personne assurant les fonctions de présidence de notre assemblée. With Pravind, we cannot go wrong in any way whatsoever! Maya et le Sieur Phokeer s’inscriront donc dans les archives de notre Assemblée comme deux speakers exceptionnels, grâce à la perspicacité de notre bien-aimé Premier ministre dans ses choix guidés par des critères exigeants, objectifs, neutres et judicieux. L’enregistrement de la prestation du Phokeer est dorénavant inscrit en lettres d’or pour l’histoire tant dans les textes du Hansard que dans les images vidéo ayant été captées.

Souhaitons donc une nouvelle fois longue vie à Sooroojdev Phokeer dans ses fonctions. Nous avons encore près de cinq ans à aller comme ça, et le spectacle, le grand, est donc assuré. Nous, citoyens de Maurice, avons bien de la chance : notre Premier ministre nous respecte profondément, et nous lui devons en retour notre admiration sans défection possible. Avec lui, l’avenir d’une île Maurice digne et respectable est assuré ! 

Mais, chers lectrices et lecteurs, redevenons un peu cynique et sérieux quand même, si vous voulez bien !

Que notre patrie prenne régulièrement une pente toujours plus dangereuse ne fait aucun doute. Mais nous devons quand même nous demander pourquoi Pravind Jugnauth affiche de manière permanente une aussi belle assurance. Elle n’a d’égal que ce petit sourire moqueur qu’affichait en permanence Navin Ramgoolam ‘in the good old days’ (et même jusqu’à récemment dans sa montée à pied, lors de la visite papale, vers Marie Reine de la Paix, se faisant préserver du soleil par un accompagnateur porteur de son parasol, un spectacle d’un ridicule achevé destiné aux demeurés de l’île).

Par rapport à ce qu’il nous est donné de voir couramment, nous pensons que cette assurance de notre PM bien-aimé provient de deux sources, l’une située dans le cadre national, et l’autre de l’extérieur.

Pour ce qui est de la source « locale », Pravind Jugnauth envahit littéralement de ses prérogatives et de ses nombreuses faveurs toutes les sphères du pouvoir à l’aide de deux groupes : les lèche-bottes, c’est-à-dire les gens dont la capacité d’épanouissement personnel est généralement limitée ou qui sont d’un opportunisme démesuré, et qui ne peuvent donc prétendre à apporter leur réelle contribution à la société dans la place de la hiérarchie qui leur revient.

Deuxième groupe, autrement plus puissant et sournois : les sociétés secrètes de Maurice !

Le fait que l’on n’en parle que très rarement est par lui-même très significatif. Cela est dû à une réalité dont peu de nos compatriotes se rendent compte : les sociétés maçonniques du pays contrôlent toutes les sphères de la vie de la collectivité, et de près !

Qu’il s’agisse du monde politique, de celui des affaires, des médias, de l’imprimerie, de tous les domaines de la communication, de l’administration, des ambassades à l’étranger, des instances para-étatiques, de la hiérarchie de nombreuses institutions scolaires, you name it, l’hydre maçonnique est présente et s’arrange pour faire nommer ses membres et pour « agir » afin que les francs-maçons, et maintenant aussi les franc-maçonnes, expriment les uns envers les autres ce qu’il convient d’appeler leur « solidarité ».

C’est bien en raison de leur influence sur la société dans son ensemble, influence qu’ils ont initiée et société dont ils ont bafoué les fondements depuis le XVIIIe siècle, et aujourd’hui encore bien plus qu’auparavant, qu’ils ont allègrement torpillé tout ce qui touche au mérite (le vrai s’entend, et non pas le leur), à la libre concurrence dans les affaires, à l’équité et aux chances égales à tous et à toutes, à certaines libertés, à l’effort personnel et, au fond, à la démocratie elle-même. L’une de leurs spécialités chez nous et plus loin tient au « langage politiquement et socialement correct », qui afflige tous ceux qui ne sont pas intellectuellement munis (ou qui ont quelque chose à perdre) pour démasquer leurs perpétuelles combines relatives à la concentration des prérogatives et du pouvoir.

Mais, voyez-vous, la franc-maçonnerie à Maurice, ce n’est vraiment pas aussi simple que vous pouvez l’espérer. L’existence dans l’île de loges des mouvances française et anglo-saxonne (tant anglaises qu’écossaises), des regroupements « épidermiques » au fil des décennies, des choix entre les loges chrétiennes et athées, des oppositions entre loges au fil de notre histoire pour tout un ensemble de raisons, notamment communales, ont abouti à des jeux d’influences qui nous ont beaucoup pénalisés.

Pour faire simple dans l’opposition entre les loges de mouvance francophone et britannique, nous allons vous faire part de notre propre expérience. Disons d’abord que, malgré trois occasions qui se sont présentées à nous, nous avons toujours décliné les propositions d’une initiation à la franc-maçonnerie pour des raisons bien précises, ce qui a créé chez nous un sentiment de condescendance envers tous ces individus qui, pour garantir leur avenir – bien souvent bien au-delà de l’âge supposé de la retraite à 60 ans – acceptent inconsciemment une initiation qui équivaut à un réel renoncement à la seule dimension de l’homme lui permettant de s’épanouir et de prendre la place qui lui revient légitimement, et non pas artificiellement, dans la société. Passons !     

En fait, pour le commun des mortels, il n’est pas possible d’affirmer, sans risque de se tromper, que telle ou telle autre personne appartient à une loge maçonnique. Les rites, les dossiers, les engagements, l’initiation et tous les autres aspects des sociétés secrètes sont férocement protégés, et ne sont accessibles qu’aux seuls frères et sœurs, et encore… Il existe une hiérarchie stricte au sein de ces sociétés, qui s’étale en « degrés », et seuls les hauts placés dans la hiérarchie ont accès aux archives et à certaines « connaissances ».

Ainsi donc, pour identifier les « initiés », il n’y a que deux moyens : observer (très) discrètement le comportement de ceux et celles que l’on suspecte d’appartenance à une loge, et dégager des conclusions des résultats de leurs interactions avec d’autres suspects. À partir de certains faits indiscutables (ainsi qu’avec l’aide de YouTube qui nous permet de voir des choses autrefois impossibles à constater – par exemple, une séance d’initiation à l’intérieur d’une loge), il devient alors possible de continuer à ajouter 1 à 1 et de s’assurer, sans grand risque de se tromper, que l’opération donne 2.

Voici une partie très succincte de notre récit. Nous sommes arrivés à Genève en juillet 2000, pour prendre nos fonctions auprès de la Mission permanente de Maurice auprès de l’OMC. En nous y rendant, nous avons rapidement compris (suite à notre interprétation d’une phrase que nous a adressée un membre de la délégation officielle) que les loges de mouvance francophone y étaient déjà représentées. Deux mois plus tard, en septembre 2000, des élections générales à Maurice ont donné lieu à une importante session de chaises musicales, dont le but caché était de remplacer la dominance des éléments francophones par ceux de la mouvance anglophone.

En apprenant l’identité de ceux qui avaient été nommés dans certaines ambassades de Maurice dans le monde, nous avons deviné sans difficulté ce qui s’était passé à Maurice : Paul Bérenger (ou son représentant) avait avisé le n° 3 du parti (décédé il y a 15 mois, à la fin de 2018), et ce dernier avait donc approché plusieurs de ses frères pour les postes en question. Voilà ce qu’on appelle en mots simples une « atteinte directe à la méritocratie » : plusieurs de ces « nommés » n’avaient aucune compétence de départ dans le domaine des affaires étrangères de notre pays, mais ils étaient des francs-maçons, c’est-à-dire des personnes « coincées » sur lesquelles on pouvait compter absolument !

Attention ! Nous ne sommes pas en train d’insinuer en quelque façon que ce soit que ces individus ont fait montre d’une incompétence quelconque dans leurs fonctions. Nous insistons uniquement sur le fait qu’ils ont été nommés alors qu’un choix effectif existait forcément, et que ce choix n’a pas eu lieu. Ces gens ont ainsi bénéficié d’un traitement privilégié, auquel personne d’autre n’a pu se prévaloir. C’est bien l’histoire du « Pile je gagne, face tu perds ! » qui s’appliquait, et qui continue à s’appliquer jusqu’à aujourd’hui, sans aucune possibilité de s’y opposer. 

Depuis 2000, suite à chaque élection générale, les séances de « musical chairs » et l’organisation de bals masqués se sont poursuivies. Les loges francophones ont régulièrement affronté les loges anglophones pour le « placement » (à quelques exceptions près) des frères et des sœurs (Ramgoolam a ses sœurs francophones depuis une quinzaine d’années, mais les Jugnauth n’en avaient pas encore jusqu’à récemment, et c’est cela qui explique le fait qu’il a été nécessaire de prévoir depuis 2015 un espace dans la cuisine pour préparer les amuse-gueule, les plats de résistance et les garnitures mijotées allant assurer la sérénité – ainsi d’ailleurs que la servitude – des joyeux lurons opportunistes de notre Éden).

Les nouvelles à propos de ces scandales dont sont passés maîtres nos chers politiciens de tous bords peuvent se trouver, sous forme fortement concentrée, dans le numéro de Week-End du 22 mars 2015, dans deux articles de ce dimanche-là intitulés respectivement « Organismes d’État – Des nominations de plus en plus scandaleuses » et « Le remue-ménage au MMM – La révélation de la connexion maçonnique crée une certaine panique ». L’un des sous-titres de ce dernier article se lisait ainsi : « Jayen Cuttaree se défend d’être un «recruteur» ou un «parrain»… » Édifiant, n’est-ce pas ? Et évidemment jamais démenti !

Actuellement se déroule encore un bal des masqués du même cru. Certains ont été casés, mais il y a d’autres cas qui sont en suspens. Nominations à suivre et, sait-on jamais, à démasquer ! Quoiqu’il en soit, pour Pravind Jugnauth, la présence de la fille du père ainsi celle de ses compères à ses côtés assurera sa survie à court terme en politique. N’oublions quand même pas le soutien indéfectible que lui apportent, en outre, les nombreux frères des secteurs hors gouvernementaux dans ce grand carnaval. Leur caution et leur absolution morale et intellectuelle lui sont acquises. De bien braves humains, en somme ! Comme disent les Anglais ‘The more, the merrier…’

La deuxième raison de la sérénité de Pravind Jugnauth tient, nous l’avons mentionné, à un fait extérieur : la caution, de bien des façons, de ‘mère poule’ l’Inde à l’égard de Maurice. L’histoire (que nous n’avons quand même pas pu vérifier) veut qu’Aneerood Jugnauth ait failli faire appel à l’armée indienne chez nous lors des événements politiques et les élections de 1983. Quoi qu’il en soit, nous sommes aujourd’hui devenus hyperdépendants de ce pays sur les plans (au moins) militaire et financier, et notre vassalité semble convenir sans problème aucun à Aneerood Jugnauth et à son fils. Excepté pour la déportation des personnes physiques, pas prévue qu’on nous dit, l’île Maurice semble larguer Agaléga exactement comme la Grande-Bretagne a largué les Chagos. Question de souveraineté nationale, n’est-ce pas ? Difficile d’expliquer à certaines personnes d’origine modeste de chez nous occupant des postes importants ce que sont l’honneur, la vraie indépendance, la dignité et la décence.

Chers compatriotes, nous vous invitons instamment à vous intéresser de près à tous les manquements et toutes les lâchetés qui nous sont imposés de manière courante. L’avenir nous paraît sombre, et nous avons le devoir envers nous-mêmes d’en être conscients et de résister, si ce n’est que psychologiquement, à toutes les bassesses que les pouvoirs actuels nous infligent. Une résistance au moins morale, c’est le geste minimum que nous nous devons, tant à nous-mêmes qu’à ceux qui viendront après nous. Croire que nous allons continuer ainsi et que rien ne pourra être plus préoccupant que ce que nous constatons actuellement est un leurre. Au train soutenu où vont les choses, le pire est encore à venir et, que nous le voulions ou non, nous aurons à y faire face. Autant s’y préparer…

 A. Jean-Claude Montocchio