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Nous nous en souvenons…

L’île Maurice a été un vrai paradis : accueillant, authentique, spontané et agréable. Jusqu’à la fin des années 1960.

Les quelques étrangers qui arrivaient alors jusqu’à Maurice, une île où vivaient un peu plus de 600 000 habitants, effectuaient ce que l’on appelle un « voyage », soit un séjour où ils apprenaient à véritablement découvrir le pays, avec ses communautés, ses cultures, son folklore, ses paysages, ses plages propres, ainsi qu’une dimension de l’île disparue à tout jamais : l’espace !!! Mais le baby boom d’après-guerre et le « overcrowded barracoon » de V.S. Naipaul pointait déjà à l’horizon….

Pierre-Edmond Pulvenis avait tourné, quelques années auparavant, le tout premier documentaire (en technicolor) de découverte et de promotion du pays pour les Européens

 L’île Maurice, miracle de la coexistence pacifique ») dans lequel l’on découvrait la beauté des paysages du pays, mais aussi ses traditions et ses cultures.

Si une bonne partie de la population restait encore démunie, ses membres avaient une perception précise du sens de l’effort, les exigences de l’immédiateté étaient inconnues et la conformité aux comportements du groupe auquel on appartenait, pour contraignants qu’ils aient pu être, donnait un sens assez prononcé à un ordre établi et aux règles à ne pas transgresser.  

La bonne marche de l’économie de l’île reposait alors dans une grande mesure sur une classe moyenne, qui savait vivre avec des ressources somme toute assez modestes, dans un contexte économique où l’inflation était nulle et dans une société où le désir d’aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte se réveillait.

L’accueil et l’hébergement des étrangers étaient à l’époque des plus élémentaires. Le petit hôtel du Chaland offrait un confort modeste et accueillait surtout les équipages des compagnies aériennes, et celui du Morne était principalement occupé par des clients locaux.

À cette époque, comme la circulation des véhicules était encore faible, l’on conseillait aux touristes qui voulaient circuler en voiture eux-mêmes sur les routes de Maurice de conduire au milieu de la chaussée, ce afin d’éviter les cyclistes, les chiens, les poules et autres cabris qui peuplaient assez intensément les voies. Par « l’ancienne route » (celle qui en venant de Curepipe passait par Rose-Hill, Beau-Bassin et Grande Rivière Nord-Ouest), on atteignait Port-Louis en 20 minutes, 22 au maximum).

Et dans les voitures entièrement mécaniques, l’on profitait de toute descente, si faible soit-elle, pour rouler systématiquement au point mort, afin d’économiser de l’essence…

Ce temps d’abondance de la langouste que l’on mangeait en toutes sauces, même en curry, n’est plus !

  * * *

Ce temps des voyages a été remplacé, il y a tout juste cinquante ans, par le tourisme, soit des séjours dans l’île organisés par des tour-opérateurs au départ et par des « réceptifs » à l’arrivée, avec des séjours fixés à l’avance. L’aventure du tourisme a véritablement débuté chez nous à la fin de 1969. La promotion de la destination, qui nécessitait un démarchage organisé et systématique, a commencé avec la construction du Trou-aux-Biches Village Hôtel, dont la grande capacité demandait, pour la première fois, que l’on se livre à du marketing, que l’on s’assure de capacités en termes de sièges d’avion et d’accueil à l’arrivée, des transports internes, des excursions et des circuits, etc.

Bien malheureusement, à part les exercices de promotion de notre destination à l’étranger par de véritables professionnels tels que Régis Fanchette et Cyril Vadamootoo, le gouvernement mauricien n’a jamais compris ce qu’allait réellement impliquer une mise en avant réussie de Maurice comme destination touristique de choix. Ses membres n’ont jamais compris, ou n’ont jamais voulu comprendre, dès le départ jusqu’à aujourd’hui, un fait essentiel : la réussite d’une politique touristique ne consiste pas seulement à mettre sur pied des structures répondant au développement des services de promotion, de transport aérien, d’accueil, d’hébergement et de « divertissement » des touristes, mais aussi à s’assurer que ce qu’ils vont voir partout dans l’île, la qualité de l’hébergement, le cadre, le type d’accueil et le contact qu’ils vont avoir avec la population, la cuisine, les comportements à leur égard, l’esthétique générale, la propreté, le civisme, les divertissements et les points d’intérêt correspondent à leurs attentes.

Tôt ou tard, les manquements dans ce domaine se payent.

L’accueil à Plaisance

–  Les chauffeurs de taxi de l’aéroport ont régné en maîtres pendant des années, jusqu’à ce que les navettes des « réceptifs » prennent le relais. Nombreux sont ceux qui ont extorqué des sommes déraisonnables des visiteurs pour leur transport jusqu’à leurs hôtels respectifs.

–  Nous avons personnellement insisté, dans nos fonctions à la CCI de Maurice, pour que des taximètres soient installés dans les véhicules. Ils l’ont été effectivement, mais ils n’ont pour ainsi dire jamais servi, les chauffeurs refusant de les faire fonctionner et donnant une raison « bidon » à leurs passagers pour leur non-utilisation. L’image du pays en a beaucoup souffert à une certaine époque.

–  Lesdits chauffeurs avaient en fait la situation bien en main. Avant les élections de 1982, nous sommes allés demander instamment au ministre du Tourisme, Harold Walter pour ne pas le nommer, de ne pas délivrer de licences de taxis supplémentaires pour la station de Plaisance, leur nombre étant déjà élevé et étant la source des majorations abusives des tarifs réclamés aux touristes. Après qu’il ait refusé catégoriquement, nous avons appris que ces licences supplémentaires étaient le pot-de-vin à payer pour bénéficier du vote des musulmans de la circonscription de Mahébourg (comme chacun sait, la présence musulmane est très forte chez les taximen du pays). Pas de commentaires : cette pratique est courante dans l’île à l’époque des consultations électorales !

–  Certains responsables à l’arrivée, particulièrement ceux des services de santé situés avant la livraison des bagages, n’ont reçu aucune formation. Leur attitude envers les touristes à l’arrivée donne une première impression défavorable du pays.

Or, depuis 1969 (voire avant), les gouvernants de notre pays ont adopté de nombreux comportements et de nombreuses décisions envers le tourisme qui allaient à l’encontre d’un développement harmonieux du secteur. Dans quelles circonstances et pour quelles raisons l’ont-ils fait ? Presque toujours, dans les situations où leur élection et leur popularité sur le plan politique étaient en jeu. Les Ramgoolam et les Jugnauth, ainsi que certains membres de leurs équipes respectives, ont toujours placé leur poste et ses privilèges avant même les intérêts essentiels du tourisme. La priorité a toujours consisté à ne pas prendre le risque de déplaire, ne fût-ce qu’à un nombre restreint des membres de leur communauté, en prenant des décisions courageuses favorables au pays plutôt qu’à les sacrifier pour des raisons bassement électoralistes.  

Vous comprenez, chère lectrice, cher lecteur, que Ramgoolam père a été confronté pendant toutes les années 1970 à Bérenger et au MMM, et qu’il a même failli perdre son pouvoir fin 1976. De leur côté, les Jugnauth ont voulu imposer leur juggernaut, littéralement parlant, à Ramgoolam fils depuis 1990. La priorité des priorités, dans notre pauvre pays qui piétine dans son développement, est d’accéder, de jouir et de conserver son pouvoir et ses privilèges à tout prix, le plus longtemps possible, et de manière héréditaire. Dans cet objectif et les affrontements auxquels il donne lieu, les intérêts en matière de développement sont des considérations de deuxième ordre.

Les droits de trafic aérien

Ce dossier a donné lieu à des affrontements épiques dans les années 1970 et 1980 entre Harry Tirvengadum et Herbert Couacaud. Le second se plaignait du fait que le transporteur national n’offrait pas suffisamment de sièges dans ses avions pour lui permettre de remplir les chambres de ses établissements hôteliers. Le premier estimait quant à lui que, s’il devait pourvoir à de plus nombreux sièges, il fallait encore que les hôteliers lui donnent la garantie qu’il pourraient les vendre, ce à quoi répondait le second que ce ne serait pas possible pour lui de garantir une augmentation du nombre de touristes aussi longtemps qu’il ne pouvait être sûr que les sièges supplémentaires deviendraient effectivement disponibles. Score nul ! 

Les capacités accrues avec l’arrivée des nouvelles compagnies aériennes du Moyen-Orient ont heureusement transformé cette situation dans une grande mesure.

Pendant la vingtaine d’années qui a suivi, disons jusqu’à la fin des années 1980, les manquements, les erreurs et les omissions à l’intérieur même du secteur du tourisme au niveau local, ainsi que de manière plus générale envers la politique afférente à ce même secteur, n’ont pas revêtu une grande importance, pour la simple raison que le poids du tourisme dans les activités économiques de l’île était relativement faible. On s’occupait encore beaucoup du dossier du sucre, et les zones franches industrielles résolvaient dans une grande mesure notre éternel problème de chômage.

Comme chacun sait, la situation n’est aujourd’hui plus la même. Le crépuscule des dieux a sonné dans le domaine sucrier, et les manufactures pâtissent de plus en plus d’une productivité en décroissance et de coûts de production qui pénalisent grandement la compétitivité des produits et des services à l’exportation. Seul semble résister le tourisme, avec ses contributions substantielles tant économiques que sociales, ce qui revient à dire que sa bonne santé devient une considération primordiale pour l’avancement du pays.

L’île fouillis, l’île dépotoir, l’île sale

Ce devait être en 1975, ou possiblement en 1976. Le gouvernement mauricien avait accepté une proposition de la France consistant à l’établissement d’un plan-cadre pour Maurice en matière d’aménagement du territoire, de programme d’urbanisation, de développement urbain, de règles concernant l’habitat avec entre autres celles portant sur les coefficients d’occupation des sols, tant dans les régions urbaines que rurales.

Seewoosagur Ramgoolam a lu le document et, pour refaire le geste qu’il avait fait en de nombreuses occasions précédemment, il a enfoui le document au fond d’un tiroir, estimant sans aucun doute qu’il serait politiquement pénalisant de l’appliquer au sein de son électorat. Depuis lors, l’île Maurice est graduellement devenue un vaste gâchis où l’anarchie en matière d’urbanisation, de constructions, de non-respect d’esthétique minimale et de manque d’entretien règne en maître.

Hormis la région Tamarin/Rivière Noire, les complexes hôteliers et les regroupements d’habitants dans des résidences clôturées dans lesquelles les différents propriétaires s’imposent volontairement des normes de construction et d’entretien, Maurice offre un spectacle désolant en matière d’habitat caractérisé par le n’importe quoi, la laideur, le décrépit (l’air marin qui balaye Maurice aidant) et le manque total de goût élémentaire. Disons-le sans ambages : dans l’île, on construit où et quand on veut, de la manière que l’on veut, par les moyens dont on dispose et sans contrainte aucune.

Ainsi, lorsqu’on atterrit à Maurice et qu’on quitte l’aéroport de Plaisance, on arrive 200 mètres plus loin à un premier rond-point. Et lorsqu’on fait le tour de ce rond-point en deux fois en regardant ce qu’il y a autour, on a vite compris que l’on va séjourner dans un supposé paradis qui sera au mieux un purgatoire sur le plan visuel. 

L’île Maurice est à la croisée des chemins en matière d’accueil et d’hébergement de visiteurs étrangers.

Comme il en a été fait état dans plusieurs médias au cours de la dernière semaine, les arrivées à Maurice chutent, alors que d’autres destinations progressent. Peut-être faudrait-il que les responsables du secteur et des autres services touchant au tourisme, d’une manière ou d’une autre, se réunissent et initient un vrai dialogue capable d’orienter la promotion et les conditions de tourisme dans l’île dans un sens répondant davantage aux aspirations des touristes.

À considérer le comportement de ceux dans les services publics qui sont supposés assurer la réussite des séjours d’étrangers chez nous, il semble bien qu’un réveil soit nécessaire. Le secteur touristique privé fait le maximum, mais il est confronté à une situation qu’il ne maîtrise pas entièrement.

Un signe chez eux ne trompe pas : dans tous les hôtels du monde, il est disposé sur un présentoir généralement placé près du comptoir d’accueil différents feuillets avec des propositions de circuits, de visites de lieux intéressants, de spectacles, etc.  À Maurice, ces présentoirs n’existent pas : est-ce que cela indique que les hôteliers préfèrent retenir leur clientèle dans leurs établissements, ou alors qu’ils veulent ne leur proposer que des circuits bien précis qu’ils co-organisent avec des agences spécialisées dans les visites de lieux précis ?  Le contact avec les Mauriciens est-il redouté ?    

L’île incivique, l’île immorale, l’île dangereuse

À force de laxisme, de léthargie et de passe-droits, avec l’absence totale de modèles de rôles venant d’en haut, vu le manque quasi total de fermeté devant le non-respect des libertés des autres, beaucoup de Mauriciens sont devenus inciviques et immoraux, voire agressifs.

Les sollicitations des démarcheurs ambulants sur les plages, les abus de prix au marché central et dans certaines boutiques de l’île, et les risques pour les touristes de se faire détrousser dans certains endroits contribuent sans aucun doute aux déceptions que rencontrent les visiteurs.   

Ce n’est pas tout. Ceux qui lisent régulièrement les nouvelles savent que nous nous enfonçons irrémédiablement dans la drogue et dans la destruction de l’environnement et du patrimoine.

 

Dans ces difficultés que doivent affronter tant ceux qui accueillent les touristes que ceux-ci, l’on se rend compte que, comme d’habitude, les réactions des autorités ne sont pas à la hauteur des espérances.

Une nouvelle contrainte vient s’ajouter dorénavant à une situation déjà inacceptable : le refus des Mauriciens de voir leurs plages disparaître au profit des investisseurs étrangers, pour des motifs de développement du tourisme dont on voit mal les perspectives. Cela est d’ailleurs relayé par plusieurs associations dont AKNL (Arrete kokin nu laplaz) est l’acteur le plus actif. Il semble bien, en effet, qu’un point de saturation soit dorénavant atteint, et que toute poursuite de projets, notamment sur la côte Ouest, ne peuvent que déboucher sur une stagnation en matière de taux d’occupation des chambres d’hôtel.

On connaît la réponse de certains hôteliers à cette situation : ils ont les moyens suffisants pour promouvoir tous leurs établissements et assurer le succès de leurs nouveaux hôtels. Mais, dans une conjoncture de stagnation, qu’adviendra-t-il alors des établissements qui feront les frais de situations où le nombre total des arrivées n’augmente pas ?  

L’absence de politique du tourisme intelligente 

Nous l’avons vu ci-dessus : une politique du tourisme nécessite une concertation des autorités allant bien au-delà de l’unique ministère du Tourisme, vu que le nombre de domaines autres qui sont concernés est relativement élevé. Cette concertation existe-t-elle ? Est-elle institutionnalisée ?

Comment faut-il qualifier l’attitude d’un ministre qui va passer deux heures dans le lagon de Grand-Gaube et qui en revient en déclarant qu’il n’y a pas de requins dans ce lagon ? Faut-il en rire, ou désespérer ? Ce ministre a-t-il un conseiller, un chef de cabinet qui peut lui faire comprendre qu’il doit éviter de se ridiculiser aux yeux du public ?

Dans quelles conditions attribue-t-on de nouveaux permis de construction de nouveaux établissements hôteliers dans l’île ? Dispose-t-on d’un relevé complet de tous les lieux d’hébergement des touristes à Maurice ? Contrôle-t-on les normes et les conditions de logement qui prévalent dans ces lieux ?

Terminons avec cette observation pertinente et assez alarmante de Malenn Oodiah relevée il y a deux jours sur un réseau social et concernant la situation dans notre secteur hôtelier :

« Quand les arrivées baissent de même que les “forward bookings” et qu’il y a une douzaine d’hôtels pour une valeur de Rs 11 milliards en vente, nous n’avons tout simplement pas le droit de continuera jouer à l’autruche. Sinon le réveil va être brutal pour un secteur qui concerne directement et indirectement 100 000 personnes. » 

Il semble bien que nous n’allons pas tarder à payer les conséquences de nos trois plus grands défauts à l’échelle nationale : l’irresponsabilité, la léthargie et l’amateurisme.

 

A. Jean-Claude Montocchio