Chers compatriotes,

Comme nous savons, toute société supposément libre repose sur trois piliers : ses acteurs du monde politique, ceux du monde des affaires et les différentes composantes de la société civile. Et ce sont les capacités respectives et le dynamisme de chacun de ces trois piliers, ainsi que l’interaction et le bon équilibre entre eux qui déterminent la faculté de l’ensemble de la société de progresser harmonieusement et d’œuvrer vers un véritable bien commun.

L’île Maurice est encore assez mal lotie à cet égard. Située au milieu de l’océan, densément peuplée de communautés de cultures différentes et assez frappante par le conservatisme de leurs membres, le manque de rigueur et d’allant d’une majorité d’entre eux et une morale sociale toujours défaillante, elle tente d’affronter ses difficultés avec un manque de conscience fréquent des impératifs qu’impose son cheminement vers le meilleur.

Vu de loin, le pays n’offre pas un panorama très réjouissant.

Concernant son monde politique, le multiculturalisme et la part de chaque groupe aidant, nous sommes en présence de politiciens qui continuent à baser leurs discours et leurs actions sur des interventions incohérentes, ponctuelles et opportunistes susceptibles de convaincre une majorité de Mauriciens composée d’« analphabêtes » et d’« analphacons », dont le sens critique et la faculté de prendre du recul font cruellement défaut.

Si ces politiciens constituaient une équipe de foot, elle pourrait tout juste évoluer en troisième division d’une ligue quelconque. Il n’y a à notre sens pas plus de quatre ou cinq hommes politiques de Maurice suffisamment dotés intellectuellement et moralement, et munis d’une personnalité suffisamment forte pour assurer éventuellement la direction du pays. Arvin Boolell, Paul Bérenger, Shakeel Mohamed et de bien rares autres (Navin Ramgoolam et Pravind Jugnauth étant systématiquement sur la touche dans une telle équipe).

Le monde des affaires est, de son côté, l’un de plus archaïques qui soient. La division de ce monde est claire : d’un côté, les « gros » et ceux évoluant avec eux dans « les réseaux » d’inspiration anglophone et francophone, véritables fossoyeurs de la méritocratie (qu’il refusent évidemment de voir, et encore moins d’accepter) ; de l’autre, les PME tentant de se trouver une voie, forcément modeste, dans ce monde sans beaucoup de règles du jeu. Entre eux se situent ces fameuses « barrières à l’entrée », comme disent les économistes, pour signifier les difficultés à entreprendre et à réussir dans un tel contexte.

Ces gros bonnets constituent le pilier le plus pénalisant de la communauté mauricienne. Non pas à cause de leur contribution à l’économie du pays, tout à fait valable en tant que telle, mais pour le contrôle (direct ou indirect) qu’ils exercent sur le reste du monde des affaires, les institutions du privé et la politicaille locale. Ils symbolisent ce qu’on peut appeler le ‘crony capitalism’. Le journal The Economist dresse parfois une mesure du pourcentage de sa part dans le PIB de différentes économies : en d’autres mots, il mesure la part des affaires sous le contrôle de ce « capitalisme de connivence » par rapport au reste. Elle est très importante dans certains pays, notamment en Asie.

Considérons en troisième lieu la société civile de Maurice. Elle est, sans surprise, la grosse perdante des trois piliers. Morcelée en communautés, en cultures, en groupes confessionnels, en castes, en clans, en classes sociales et en phénotypes épidermiques divers, elle ne cesse de désespérer par ses très nombreux cloisonnements.

Soyons clairs ! Nous ne considérons pas que cette vie en silos, pour ainsi dire, est répréhensible. Les gens se regroupent dans le pays selon leurs affinités, leurs cultures et leurs mentalités respectives. Notre histoire est encore trop récente pour que nous puissions prétendre à une réelle fusion de tous ceux qui composent notre communauté. Mais des rapprochements qui n’existaient pas il y a encore une génération se manifestent de plus en plus, signe qu’un début de perméabilité entre les différentes composantes de notre société a bien démarré. De toute façon, des classes sociales subsisteront dans l’île, comme partout ailleurs dans les pays libéraux du monde.

Le problème est ailleurs. En fait, la (trop) faible cohésion des composantes de ce troisième pilier tient au manque d’éducation politique et de civisme d’une majorité de ses membres pour des raisons historiques. C’est bien là le plus gros handicap auquel nous devons faire face. Ceux qui en profitent le plus sont les politiciens : conscients de ces limitations de ce peuple supposément « admirable », non seulement la plupart d’entre eux se mettent à son niveau et n’entreprennent aucun effort pour le faire prendre conscience de ses responsabilités et de ses devoirs envers les autres membres de la communauté et du pays. Bien au contraire !

En somme, le véritable problème de Maurice, c’est que les politiciens refusent, même semble-t-il s’ils en sont pleinement conscients, de promouvoir l’établissement des quelques éléments essentiels que comporte toute république digne de ce nom : le respect de l’autre, la stricte égalité des chances, l’ordre public, quelques valeurs fondamentales et le sens, sinon du patriotisme, du moins de l’intérêt général.

Il s’agit là de choses dont les Premiers ministres successifs depuis 1968 se sont refusé de promouvoir, sans rencontrer beaucoup de résistance, faut-il l’avouer, pour des raisons bassement électoralistes. Les derniers agissements de Pravind Jugnauth en matière de nomination du Président et du Vice-président de la République en sont des témoignages éloquents.

Peuple de Maurice, membres de la société civile conscients de votre place et de votre rôle dans la vie publique de notre pays, il est devenu impératif que nous nos mobilisions.

Saisissons l’occasion que nous ont donné les dernières élections générales : elles ont mis en lumière plusieurs faits qui interpellent et qui poussent les bonnes volontés à considérer sérieusement la prise de certaines initiatives orientées vers une structuration des forces que nous représentons et notre participation nettement accrue au développement économique, politique, moral et social du pays.

Nous avons l’impérieux devoir de mieux comprendre notre statut et notre rôle, de commencer à nous structurer, à nous manifester (et à manifester) pour nous faire respecter, à défendre nos droits, à prendre conscience de nos devoirs, pour consolider la civilité mauricienne et pour devenir une force active prenant la part qui nous revient dans la gouvernance et le développement de notre pays et notre mieux-être.

À notre sens, la seule initiative qui pourrait aboutir à une structuration de ce pilier qui nous revient, notre société civile, consisterait à mettre sur pied une association politiquement neutre qui agirait en tant que force de défense des intérêts des citoyens, force de proposition en faveur du progrès national, force d’opposition à toutes les mesures susceptibles de l’entraver, et enfin, force de communication de nos réflexions et de nos analyses ponctuelles, dans un style capable d’avoir le maximum d’impact dans le pays.

Cette petite structure à créer et à enregistrer pour la faire devenir une personne morale, pourrait jouer un rôle très intéressant dans notre société, pour autant que les bonnes volontés arrivent à s’entendre, à définir leur cadre d’action et les types d’intervention auxquelles elle pourrait s’adonner, et à se financer à travers un léger secrétariat à temps partiel.

Pour nous, ses adhérents devraient provenir de représentants des composantes suivantes de la société civile : les groupes de réflexion (‘Think Mauritius’, par exemple), les ONG à but social, les ONG à but caritatif, les organisations promouvant la cause féminine et celle des enfants, le monde académique, les confessions, les syndicats, les regroupements de mouvements servant l’écologie, les spécialistes de l’aménagement du territoire, ainsi que quelques individus ayant démontré une connaissance intime de notre contexte et déjà fait état de réflexions pertinentes sur notre devenir.

Le mouvement social ‘Nou lavwa nou dignite’ serait bien placé pour assurer le secrétariat de ce point focal, dont l’animation sera d’importance cruciale pour ses interventions. De notre côté, nous serions disposés à nous occuper des démarches afférentes au financement de cette structure et de son maintien, selon nos disponibilités. À cette fin, les Mauriciens de la diaspora seraient sensibilisés aux égards à témoigner envers la lointaine patrie d’origine et aux marques d’attachement qu’ils pourraient ainsi exprimer, à travers une contribution annuelle minime.

Nous n’entretenons aucun optimisme béat envers cette initiative, car les difficultés seront nombreuses. Il faudra éventuellement lutter sans arrêt contre l’indifférence, l’incompréhension de certains, le souci d’anonymat, la crainte de manifester ouvertement son soutien envers un organisme qui ne recueillera pas la sympathie des deux autres piliers du système, les conséquences désastreuses du lèche-bottisme local, le manque de temps, etc. Mais nous sommes convaincu que là se trouve, au moins en partie, la solution à l’affirmation de notre identité et de notre contribution à la mère patrie.

Ceux choisis pour siéger à un éventuel comité de cette instance devront comprendre dès le premier jour qu’ils devront laisser derrière eux toutes les considérations immédiates qui les intéressent d’habitude pour penser ‘national’ et ‘intérêts supérieurs du pays’. Par ailleurs, certains sous-marins torpilleurs devront être identifiés et tenus à l’écart. N’oublions jamais que des groupements évoluant à l’international ont compris depuis très longtemps que l’information est indispensable à l’acquisition et la détention de prérogatives et du pouvoir. Ils voudront les obtenir pour entraver certaines orientations de la structure.

Un programme d’action pourrait reposer sur les dimensions suivantes de cette structure :

  • Sa force de défense et de promotion des intérêts de la société civile locale : elle interviendrait ponctuellement à chaque fois que les intérêts des citoyens sont en cause ou affectés, tant en raison de lois, de mesures et d’actions du secteur public et du secteur privé portant atteinte directement ou indirectement à ses intérêts
  • Sa force de dénonciation des agissements et des comportements contraires à l’intérêt général : grâce à des activités de veille, elle dénoncerait systématiquement le favoritisme, l’opacité, l’inaction, la léthargie, l’irresponsabilité, l’indécence, les contradictions et les manquements et, de manière générale, tout ce qui porte atteinte à un comportement respectable et à la morale publique ;
  • Sa force de proposition : elle interviendrait régulièrement sur la scène publique pour présenter des propositions afférentes aux divers aspects de notre mieux-être ;
  • Sa force de sensibilisation des citoyens à leur contribution pour faire advenir une société avertie, pleinement consciente de ses droits et de ses devoirs et de son rôle dans l’émergence d’une île Maurice débarrassée de ce qui freine sa marche ;
  • Son relèvement de tous autres comportements et faits, d’où qu’ils viennent, ne s’inscrivant pas dans un sens favorable à l’épanouissement des personnes et de la société civile à Maurice.

Ainsi, l’un des rôles majeurs que le mouvement pourra être appelé à remplir dès le départ aurait trait aux résultats des dernières élections et au fait que Pravind Jugnauth ne semble pas mesurer la faiblesse de son parti politique et de sa place dans le pays après cette consultation. Il sera indispensable de le lui rappeler constamment et de maintenir une pression sans faille sur lui jusqu’en 2024, s’il est toujours au pouvoir jusque-là, pour le ramener sur terre et lui rappeler la part réelle de sa représentation sur la scène politique locale. De son dernier passage à la tête du pays pendant deux ans, il laisse un piètre bilan.

Ne laissons pas les politiciens nous dicter la voie, souvent discutable, qu’ils nous imposent en avançant des raisons et/ou en adoptant des mesures qui ne servent pas notre cause. Relevons leurs égarements sans faillir. Nos buts sont différents des leurs ainsi que de ceux qui, dans les affaires, concentrent souvent entre leurs mains des moyens hors de proportion avec leurs capacités intellectuelles et morales. Sachons donc prendre du recul, faire émerger nos propres vues par rapport au contexte local et occuper pleinement la place qui nous revient.

Une suggestion, en dernier lieu. Au cas où vous ne pouvez ou ne voulez pas vous joindre à la manifestation du 14 décembre prochain à Port-Louis, rendez vous dans ce cas sur la page Facebook de « Nou lavwa nou dignite » et envoyez deux mots de soutien à ce mouvement à travers Messenger. Ils seront appréciés, et ils serviront notre cause.

 

 A. Jean-Claude Montocchio