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Mauriciens non-Hindous, réveillez-vous !

Si vous ne vous opposez pas à la tentative annoncée de Pravin Jugnauth de rechercher un vote majoritaire suffisant au Parlement pour éliminer de la Constitution la disposition de notre système électoral relative au « meilleur perdant » (Best Loser System), c’est la protection de votre identité et de vos intérêts qui disparaîtra à tout jamais !

Jusqu’à ce jour, la quasi-totalité des Mauriciens pensent que ce fameux BLS se résume à une simple disposition à caractère électoral, dont le but est de compenser les résultats d’élections conçues pour compenser les déséquilibres dans les résultats des consultations électorales donnant un avantage à la communauté dite majoritaire.

Mais il s’agit en fait de beaucoup plus que cela. En effet, cette disposition reconnaît explicitement l’existence de quatre communautés à Maurice, et implicitement la nécessité d’assurer et de maintenir un équilibre en matière de représentation dans la gouvernance du pays pour chacun d’eux. Sans BLS, le principe de la représentation tant soit peu juste au sein du corps législatif ne serait pas garanti et, par conséquent, la représentation au sein du corps exécutif serait elle aussi déséquilibrée, les ministères étant occupés de par notre Constitution par des députés issus du Parlement.

Comme vous le savez, Seewoosagur Ramgoolam a opté en 1967 pour un scrutin dit « à la majorité simple à un tour » (First Past The Post), système électoral basé sur la configuration du nombre des membres des différentes communautés de Maurice qui lui garantissait, à l’époque, une victoire facile lors des scrutins successifs. Il n’a pas seulement usé de ce système pour imposer son parti, mais il a aussi profité abusivement des privilèges qu’il lui offrait pour octroyer aux Hindous un nombre de sièges au Parlement et des postes dans la fonction publique, dans les organismes paragouvernementaux, dans la police et dans la Mobile Force très largement supérieurs au pourcentage de la population qu’ils représentaient. Ses trois successeurs ont perpétué cette tendance, qui s’est même accentuée…

Et depuis le début de 2015, ce mouvement est devenu tel que la quasi-totalité des secteurs précités est dorénavant entre les mains de cette communauté. Il suffit de regarder autour de soi pour constater cette situation. Par ailleurs, comme chacun sait aussi, le régime du piti-la devient autoritaire, les libertés se restreignent et le népotisme s’impose de plus en plus dans le pays. En outre, tous les citoyens de Maurice, sans distinction, sont en train de payer le prix très élevé et les conséquences de la rivalité toujours plus féroce entre le Ramgoolam et les Jugnauth. L’île entière doit affronter sans possibilité de contestation l’irresponsabilité de ces politiciens et le dévoiement accéléré de la morale publique.

Or, il semble bien que le facteur « nombre » de la population soit en train d’évoluer. D’environ 50 % que représentait la communauté hindoue sur le territoire durant les deux premières décennies qui ont suivi l’indépendance, les départs et les chutes de natalité ont apparemment ramené ce pourcentage autour de 42-43 %, transformant ainsi la majorité absolue que détenait cette communauté dans le pays en majorité relative. Si tel est bien le cas, l’on comprend mieux la réticence qui s’exprime chez les gouvernants depuis le début des années 1980 à maintenir l’organisation de recensements, qui seraient évidemment susceptibles de confirmer cette tendance.

En combinaison avec les redécoupages réguliers des circonscriptions prévus dans la Constitution mais pas effectués depuis de nombreuses décennies, ils seraient à même d’apporter un début de changements dans la représentation des différents groupes au Parlement, et la population générale en premier.

Avec le BLS, les minorités autres que la minorité hindoue ont encore une pleine identité sur le plan du recensement et de l’emploi dans la fonction publique, et elles peuvent donc exprimer sans réserve leurs aspirations et leurs revendications concernant leur juste représentation dans les circonscriptions à l’occasion d’élections ainsi que les postes auxquels ils pourraient prétendre dans le service civil.

Sans BLS, les minorités non hindoues perdront leur identité, et les hommes politiques au pouvoir pourront faire ressortir, tout à fait justement, qu’il n’existe plus de critères permettant de différencier les Mauriciens entre eux.

Et si, avec le BLS, la place des minorités non hindoues dans les postes publics a pu se réduire dans la proportion que l’on sait (ou que l’on pourrait savoir si on le voulait vraiment), nous vous laissons deviner ce qui se passera le jour où, supposément, les Mauriciens n’auront plus en commun que leur citoyenneté. L’on devine assez aisément que la domination hindoue sera encore plus prononcée qu’avant.

Nous tenons quand même, devant cette situation, à faire ressortir plusieurs choses de grande importance :

  • En premier lieu, nul ne peut contester le fait que l’élimination d’un système qui répartit les Mauriciens en plusieurs groupes pourrait favoriser un meilleur sens de l’appartenance à la communauté nationale. Mais sans l’apport de changements préalables à la Constitution, dégagés par des instances parfaitement neutres (et non pas par des politiciens espérant en tirer des gains, surtout pour eux-mêmes), une telle élimination sera parfaitement inutile et éminemment dangereuse. Dédaignons donc l’expression d’idées supposément nobles sur le compte d’une élimination du BLS – y compris celles exprimées par les représentants de Resistans ek Alternativ et celles du cardinal Piat – jusqu’au jour, forcément lointain, ou chaque groupe aura accepté que lui-même et les autres participent pleinement et équitablement au développement du pays et que tous les Mauriciens, quels qu’ils puissent être, œuvrent sincèrement en faveur de l’intérêt national et du bien commun.
  • Dans toute tentative de radiation du BLS, non seulement tous les politiciens qui saturent et minent notre espace démocratique depuis des décennies ne pourront pas nous aider, mais il s’agira même de s’en méfier. Les Ramgoolam, les Jugnauth, Bérenger, Duval et tutti quanti ont prouvé en maintes fois, chacun de son côté, mais aussi en paires, que des coalitions et des postes ministériels peuvent passer avant les intérêts essentiels de certains groupes défavorisés.
  • La Constitution de Maurice a maintenant montré, du moins aux yeux de ceux qui prennent la peine de voir, qu’elle comporte de nombreuses faiblesses, dont la quasi complète absence de contre-pouvoirs n’est pas la moindre. Elle pourrait sans aucun doute être sensiblement améliorée, au bénéfice de tous, aussi longtemps que l’exercice est impérativement enlevé des mains des politiciens, de quelque bord qu’ils soient.

Voyons maintenant ce qui pourrait être fait, avec un peu d’efforts et de détermination, pour arrêter toute tentative de radiation du BLS dans un proche avenir.

Dans toute démarche dans le sens que nous allons indiquer, ce qui frappe toujours à l’île Maurice (même par rapport aux pays africains sous-développés), c’est l’absence d’organisation solide et de cohésion de la société civile (employés, ONG, groupes confessionnels et communautaires, associations sans but lucratif de divers domaines, universitaires, etc.). Sans regroupement, sans plate-forme, sans liberté d’action et sans initiatives suivies, les actions concertées sont difficiles à prendre et à mener.

Voici nos propositions. Pour les maintenir succincts, elles sont essentiellement axées sur la communauté créole.

De la récente interview de Gaëtan Jacquette, porte-parole du Mouvement des organisations créoles (ROC), l’on peut relever la conscience aiguë d’un malaise des Créoles qui perdure, et le souhait non éteint d’œuvrer pour son élimination. Il s’agira donc, dans un premier temps, de convoquer un rassemblement des principales organisations représentatives et fédératrices de cette communauté, au cours duquel la façon d’approcher la défense et le maintien du système du BLS sera arrêtée. Dans cette optique, au moins quatre démarches devront alors suivre :

  • Faire jouer la communication, en s’adjoignant la collaboration des médias, et de la presse en particulier.
  • Approcher non pas le cardinal Piat en s’écriant « Piat lux ! », celui-ci étant en faveur de l’élimination du BLS (ce qui n’est guère étonnant), mais plutôt Jean-Maurice Labour. Celui-ci a récemment fait état avec beaucoup de perspicacité et d’incision de sa connaissance du dossier des minorités à Maurice, et sa clairvoyance est édifiante ! À notre sens, il est donc bien celui qui, parmi les religieux de son groupe spirituel, devrait être sollicité pour apporter son concours à la sensibilisation au dossier du BLS parmi les Créoles, dans la mesure où la latitude d’action dont il dispose le lui permettra.
  • Les politiciens devront être approchés, pour que les représentants de la composante créole du pays leur signifient leur fermeté à l’égard du maintien du BLS, et ce, aussi longtemps qu’un réel équilibre des éléments composant la communauté nationale (on ne peut même pas parler de nation mauricienne, car elle n’existe toujours pas) n’aura pas été assuré. Bérenger, Duval et Collendavelloo en particulier devront être prévenus : s’ils entrent dans le jeu de Pravin Jugnauth pour faire disparaître le BLS, ils en paieront le prix, tant devant l’électorat que devant l’Histoire !
  • Enfin et surtout, la communauté créole dans son ensemble devra être sensibilisée aux pleins enjeux que comporte le BLS pour elle, beaucoup plus sur le plan identitaire qu’électoral, et le soutien actif de ses membres à cette cause devra être recueilli.

Dans la situation qui prévaut, le BLS doit être perçu comme un véritable outil de négociation, à ne pas confier à quelque politicien que ce soit car, à bien voir, leurs agendas et ceux de leurs mandants ne sont pas souvent les mêmes. Il reviendra aux membres de la communauté eux-mêmes d’assurer, à travers leur solidarité, la pérennité de leur identité et de leurs valeurs. Nul autre ne peut s’en charger pour leur compte.

Le défi est ambitieux, mais il est tout à fait à la portée d’un groupe courageux et motivé, et déterminé à atteindre avant la prochaine rentrée parlementaire la préparation d’un dossier solide en faveur du maintien du BLS.

A. Jean-Claude Montocchio