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La religion possède la Vérité absolue…

Les politiciens ont toujours raison…

Les journalistes n’ont jamais tort…

 

Tout cela est merveilleux, n’est-ce pas ? Comme le Candide de Voltaire l’affirmait, « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ». Il n’y a qu’à « cultiver son jardin ».

Nous nous sommes souvent demandé, quitte à projeter une image d’extrême condescendance de nous-même, s’il serait judicieux de stimuler le débat intellectuel à Maurice et de tenter de sensibiliser ceux de nos concitoyens qui seraient perméables à l’idée d’un développement de leur sens critique et de l’acquisition d’une autonomie intellectuelle. Au vu du fait que notre petite île semble offrir à la vaste majorité de ses habitants un confort moral et psychologique où règne en maître une qualité des relations humaines assez exceptionnelle, avons-nous le droit moral de tenter de changer cette situation (si tant est qu’elle ait des chances d’aboutir, ce qui est loin d’être évident) au risque de favoriser un individualisme qui pourrait, in fine, ne pas cadrer avec la solidarité qui a rendu possible et continue à favoriser des rapports empreints de spontanéité et de coexistence pacifique ?

Si nous persévérons dans notre entreprise, c’est que nous estimons que la dignité et le respect de soi (avant même celui des autres), auxquels vient s’ajouter l’appréciation pertinente du monde dans lequel nous vivons, sont probablement les acquis des hommes les plus importants au monde, et que sans ceux-ci, ils sont réduits à se soumettre à la pire des exploitations qui puisse exister, celle de l’esprit : elle est dix fois pire à notre sens que l’exploitation économique, qui fait appel très souvent à des efforts physiques plutôt qu’intellectuels. L’exploitation dont parle Marx est encore moins grave que celle qui prévaut dans « La ferme des animaux » d’Orwell.   

Il s’en dégage une question fondamentale : peut-on ou doit-on accélérer l’épanouissement de nos semblables, ou est-il préférable de le laisser arriver à son propre rythme ? Et quel comportement devons-nous adopter envers ceux qui, délibérément, retardent ou freinent l’avènement de la sensibilisation aux comportements susceptibles de nous « grandir » ?

Avec le sens d’objectivité et de neutralité qui nous anime depuis longtemps, nous examinons dans la présente chronique les graves événements qui se sont produits au sein de la religion catholique ces dernières années, car nous avons l’impression que ceux directement concernés à Maurice par ce qui se passe à Rome et ailleurs, au sein somme toute d’une confession d’envergure mondiale, n’en sont pas proprement informés. Peut-être nous trompons-nous. Quoi qu’il en soit, ces événements ont des répercussions qui viennent jusqu’à nos rives, et les pratiquants ne peuvent en être exclus.

Commençons par mentionner, pour rappel, qu’une religion comme l’Église catholique est composée de quatre éléments majeurs : une cosmologie (explication de la création et l’existence de l’univers), des rites, une structure élaborée comportant une hiérarchie, des institutions et même un corpus juridique (le droit canon), et enfin un enseignement.

Nous n’avons rien à dire à propos des deux premiers éléments. Chacun y trouvera son compte, selon ses convictions et son appréhension des choses. Il semble bien que la théorie de la création et celle de l’évolution vont continuer à s’opposer sans espoir de conciliation, tellement que la perception même des choses d’après chacune d’elles est éloignée l’une par rapport à l’autre.

Il n’en va pas de même pour le troisième élément, surtout pour ce qui concerne le code de droit canonique de l’Église. Ce code est très élaboré et porte, entre autres, sur les règles et les sanctions que peuvent prendre les autorités religieuses à l’encontre des membres du clergé et des croyants. Consolidé et publié en 1917, il a subi des modifications en 1983 et en 2015, presque essentiellement axées sur le rôle exclusif des évêques dans leurs diocèses locaux et les nullités de mariage.

Le réel problème, c’est que les lointains et récents scandales en matière de pédophilie qui portent des coups de boutoir à l’image de l’Église dans le monde montrent à quel point le code de droit canonique est lacunaire et mal adapté à la très grave situation qui se présente. De plus, même avec les dispositions à la disposition du pape et des évêques, faut-il encore que ces derniers veuillent bien les utiliser. Les graves événements relatifs à la pédophilie dans l’Église montrent que ce n’est pas souvent le cas.

Qu’en est-il exactement ? Le pape en exercice a eu deux prédécesseurs qui se sont montrés (à quelques nuances près dans le cas de l’avant-dernier) des traditionalistes conservateurs en matière de religion. François, par contre, s’est manifesté en tant que libéral depuis son intronisation, et a bousculé (ou tenté de bousculer) certains dogmes séculaires de l’Église ainsi que certaines de ses caractéristiques structurelles.

C’est dans ce cadre de liberté accrue des hiérarchies qu’ont commencé à se manifester des dénonciations et des accusations de pédophilie de membres du clergé dans certains pays venant d’autres membres de leurs congrégations qui sentaient ne pas ou ne plus pouvoir, sur le plan moral, endosser sans réaction tous les scandales qu’ils constataient.

Cette situation a eu un retentissement international qui a considérablement rabaissé l’image de l’Église et la crédibilité de son message. Il ne sera pas possible, dans cette chronique, de passer en revue le dossier de la pédophilie dans l’Église, car pour l’examiner de manière exhaustive, il faudrait y consacrer un très long suivi chronologique. Passons donc à l’essentiel, en limitons-nous aux événements des deux dernières semaines dans le monde, en commençant par Rome.

Les récriminations et les dénonciations à l’encontre des prêtres pédophiles ont abouti, après de longues années, à la tenue à Rome il y a une dizaine de jours d’un Sommet de l’Église contre la pédophilie, présidé et animé par le pape lui-même. Ceux qui se spécialisent et suivent régulièrement les dossiers des religions en Europe, des journalistes croyants connus pour leur objectivité et leur mesure, ont qualifié ce sommet de « demi-échec ». Deux extraits de la presse écrite en France en disent long sur son bilan.

  • Comment expliquer le sentiment de « flop » du grand sommet contre la pédophilie, organisé du 21 au 24 février au Vatican ? Le Pape et son entourage avaient certes demandé de « ne pas trop attendre » de cette réunion, mais l’impression de ratage est partagée par toutes les associations de victimes comme par la presse dans son ensemble, toutes sensibilités confondues.
  • Victime historique de ces affaires, Phil Saviano […] se dit « totalement consterné ». Il s’agit de cet Américain sans qui l’affaire du cardinal Law, archevêque de Boston, qui a tout déclenché en 2001, n’aurait jamais eu lieu. Reçu mercredi dernier au Vatican, il espérait beaucoup mais, constate-t-il, « dans son discours, le Pape François a perdu un temps démesuré à détailler les statistiques sur les abus commis dans d’autres situations comme pour distraire l’attention des horreurs des abus perpétrés par tant de membres du clergé catholique ! ». Pour lui, « rien n’a donc été fait lors de ce sommet. C’est inacceptable ». Dépité, il conclut : « J’ai le sentiment d’avoir été pris pour un idiot. Cette intervention du Pape marque la fin de mon espoir : rien sur des nouvelles règles et réglementations, rien sur la responsabilité des évêques, aucune nouvelle mesure permettant de signaler aux autorités civiles ces crimes sexuels contre des enfants, aucune transparence sur les noms et des dossiers des agresseurs. » Phil Saviano en est certain : « Beaucoup de catholiques de mon pays vont réagir avec colère et consternation. »[1]
  • Le comble dans cette situation est peut-être le comportement du pape François lui-même. En effet, l’un des nombreux cas de perpétuation de cette situation porte sur sa protection d’un prêtre argentin, le père Gustavo Zanchetta (un concitoyen). Ils sont proches : ce fut le premier prêtre qu’il nomma évêque sitôt son élection papale, en 2013. Accusé d’homosexualité active et d’agressions sexuelles par des anciens séminaristes, cet évêque a quitté son diocèse du jour au lendemain en 2017 pour se réfugier en Espagne. Le Pape l’a fait ensuite venir à Rome pour lui confier en 2018 un poste de gestion très important au Vatican. Cette semaine, les accusations d’abus sexuels contre Mgr Zanchetta ont été juridiquement déposées en Argentine par plusieurs victimes.[2]

Pour rendre la situation encore plus compliquée, il faut encore signaler la parution, il y a une dizaine de jours, d’un ouvrage de Frédéric Martel intitulé « Sodoma. Enquête au cœur du Vatican » qui vient jeter une lumière crue sur les cercles organisés d’homosexuels parmi les religieux au Vatican. Les faits qu’il avance sont avérés.

Finalement, faisons état pour l’information de ceux qui lisent le présent document, des dénonciations de la semaine écoulée venant de religieuses portant sur les abus sexuels dont elles ont été les victimes de la part des prêtres, qui commencent à affluer.

Avant de refermer cet aspect de notre analyse portant sur le droit canon, il nous semble utile de nous demander si, à notre sens, nous sommes dignes de recevoir ce type de nouvelles de la part de l’évêché de Port-Louis, ou s’il est préférable que nous n’en recevions que des échos par d’autres voies ?  Peut-on laisser les Mauriciens dans leur ensemble ignorer les précautions que souhaite prendre le clergé catholique sur ce dossier, s’il est éventuellement prévu de le faire, ainsi que sur les mesures que Rome entend prendre pour lutter contre cette déchéance ?

Le quatrième et dernier élément constitutif de la religion tient à ses enseignements.

Composé d’exemples de comportements et de préceptes venant des apôtres ayant raconté la vie et les enseignements de Jésus, ils ont acquis un caractère permanent et servent à guider les fidèles dans les situations et les relations courantes de la vie. Cet enseignement a sans aucun doute été un facteur de stabilité sociale au fil des siècles, bien que le christianisme en tant que tel ait aussi été une immense source de conflits dont les victimes ont aisément surpassé en nombre ceux des deux conflits mondiaux du XXe siècle.

Relevons quand même une dimension de cet enseignement auquel il n’est presque jamais fait référence, à savoir qu’il était dispensé à l’origine à de petits groupes de personnes, ce qui donnait donc tout son poids à la mise en avant de valeurs telles que l’amour du prochain et le pardon (qui pouvait ainsi servir d’exemple aux membres d’un groupe restreint). Dans les vastes communautés d’aujourd’hui, ces deux valeurs ne peuvent plus s’exprimer : le témoignage du respect d’autrui est nettement moins difficile à exprimer que l’amour (bien que ce respect soit lui-même très difficile à observer au départ), et le pardon dans le monde moderne n’a plus aucun sens.  La sécurité de l’individu passe dorénavant par le besoin de faire l’autre comprendre qu’une limite au comportement ne se dépasse pas, et les cours de justice remplacent adéquatement les invitations à tendre l’autre joue.

Venons-en au pape François. Pour originaux que puissent être son enseignement et sa crédibilité dans le monde, il semble ne pas comprendre une chose : si son action dépasse le cadre habituel de la religion catholique centrée sur le comportement des individus et commence à s’investir dans des questions sociopolitiques, il s’expose à se faire rabrouer.  

Depuis son intronisation, il s’est permis de s’immiscer dans un certain nombre de dossiers en les interprétant à partir de ce qu’il conçoit comme étant des valeurs absolues, alors qu’elles ne peuvent être que relatives. Il en va ainsi de la question de l’immigration en Europe, qui a culminé avec sa déclaration du 21 août 2017 : pas moins de 21 mesures concrètes en faveur des immigrants, qui transformeraient l’Europe en véritable passoire et viendraient annihiler davantage les souhaits de plus en plus précis de ses habitants de conserver impérativement leur identité.

Cette attitude nous rappelle celle des sucriers mauriciens du début du XXe siècle, pour lesquels il ne fallait surtout pas discontinuer l’arrivée de la main-d’œuvre engagée de l’Inde, car ceci ne permettrait plus de garder le coût de cette main-d’œuvre au niveau le plus bas possible. Le pape François ne se rend pas compte que l’arrivée d’immigrants en Europe ne sert que les intérêts de deux groupes bien précis : les capitalistes, heureux de faire venir chez eux de la main-d’œuvre bon marché qui sont simultanément de nouveaux consommateurs, et les politiciens de gauche, heureux de trouver des supporteurs pouvant satisfaire leurs appétits électoralistes.

Le pape François oublie une chose, d’importance fondamentale, dans ces propos : la société occidentale, qui est horizontale, ne peut fonctionner que si les éléments qui la composent sont conscients que tout droit entraîne un devoir correspondant. Muni de ce principe permanent de l’humanité, il aurait déjà du travail à faire dans sa propre église.

La déclaration susmentionnée a été très mal ressentie en Europe. Il en a été de même pour le propos qu’il a tenu sur les jeunes homosexuels, qui auraient besoin d’après lui de soins psychiatriques. Le chef de la communauté religieuse la plus importante du monde estime que l’homosexualité se soigne avec lesdits soins. Le propos était tellement gros qu’il a fallu que le Vatican rectifie d’urgence, dès le lendemain.  

Les conséquences de cette perception de l’homme, évidemment désuètes, provoquent des situations, à Maurice même, qui sont la cause de comportements inappropriés sur le plan social envers les personnes concernées. Quand l’Église aura-t-elle le courage élémentaire de se livrer à une introspection à ce propos ?

Terminons notre chronique en nous référant à certains propos tenus par le cardinal Piat dans la présentation de sa lettre pastorale au cours des derniers jours. Il a condamné le financement des partis politiques, source de corruption, ainsi que les inégalités qui se manifestent dans la société mauricienne. Nous serions anxieux d’apprendre de lui, passées les déclarations, ce que compte faire exactement l’Église de Maurice contre ces deux fléaux.

Si elle voulait devenir un groupe de pression et lancer une initiative pour les combattre, notamment en s’adjoignant le concours de certaines autres ONG et en provoquant un regroupement des bonnes volontés disponibles, la démarche serait éminemment louable. Nous serions même disposés, malgré notre attachement au monde laïque, à lui apporter notre contribution en lui montrant comment se combat la corruption dans certains pays et où identifier exactement la source des inégalités qui prévaut dans le pays (en supposant qu’elle ne le sache pas déjà, ce qui serait étonnant).

La spiritualité est nécessaire, mais la morale sociale l’est au moins tout autant dans le contexte mauricien.

A. Jean-Claude Montocchio 

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[1] Jean-Marie Guénois. Extraits d’un article paru dans Le Figaro du 24 février 2019.

[2] Idem.