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Chères Mauriciennes, Chers Mauriciens,

Notre chronique de la semaine dernière nous ayant valu quelques critiques acerbes, nous pensons qu’il est utile que nous y revenions brièvement, avant de continuer à traiter la question déterminante pour notre avenir, en tant que société multiculturelle, de la déclaration ou non du groupe auquel on appartient lorsqu’on se porte candidat à une élection dans l’une des circonscriptions de Maurice.

Depuis les quatre mois que nous animons cette chronique hebdomadaire, nous tentons d’analyser la situation sociopolitique de notre pays en mettant en avant les considérations fondamentales du vivre-ensemble. Ainsi, nous avons couvert, entre autres, les thèmes de la place de la femme dans notre vie politique, notre combat contre la corruption et le trafic d’influence, les attaques contre la démocratie et le traitement différencié qu’accordent les autorités aux communautés de l’île. Plus que tout, nous avons condamné le jeu infect auquel se livrent les têtes de partis depuis 50 ans : non-responsabilisation des Mauriciens « laissés pour compte intellectuellement », car pas favorable électoralement.

La semaine dernière, nous avons mis en avant deux points de vue :

  • Le bilan des politiciens qui nous dirigent depuis 1968 est largement négatif, et il devient impératif de procéder au renouvellement de notre personnel politique ;
  • Rezistans ek Alternativ n’a pas le droit moral d’inviter la Cour Suprême à prendre une décision sur la déclaration d’appartenance (ou pas) des candidats à une communauté précise lors d’élections, car cela débouchera inévitablement sur une situation sur laquelle ce mouvement n’a et n’aura aucun contrôle. La définition de « Mauricien » pour des besoins de recensement, de découpage des circonscriptions, de la tenue des élections, de l’allocation des 8 sièges additionnels juste après, du processus législatif, du gouvernement ainsi que des droits et devoirs de la population est une question beaucoup trop délicate pour être traitée par morceaux, comme on tente de le faire actuellement. Elle doit être prise dans son ensemble et traitée en une seule fois, et non pas par « chiquettes ».

Pour avoir fait ressortir ces deux considérations, nous avons été traités de réactionnaire et de nouveau NMU, et l’on nous a accusé de « rejeter les autres » et de « stigmatiser ». On retrouve là cette vieille habitude de beaucoup de Mauriciens de classer les gens selon leur identité plutôt que par rapport à ce qu’ils ont dans la tête.

À tous ceux qui sont passés loin de ce que nous avons tenté de mettre en avant comme message, nous disons simplement ceci : il y a maintenant des décennies que nous avons placé notre sentiment d’appartenance au pays et de respect pour nos concitoyens bien au-dessus d’une quelconque identification de notre part avec des groupes ou des individus particuliers. Notre erreur aura probablement été de n’avoir pas utilisé, pour nous exprimer, le langage politiquement correct qui depuis si longtemps empêche de nombreux Mauriciens de dire ouvertement ce qu’ils pensent tout bas et d’en discuter. Mais nous ne baisserons pas les bras ! Nous continuerons à plaider pour une île Maurice plus juste, plus égalitaire, plus dynamique et davantage guidée par l’intelligence, la raison et le mérite que par les faux-fuyants et la démission à l’égard de nos obligations et des impératifs de notre développement. 

* * *

Reprenons donc chers lecteurs, si vous voulez bien, nos propos de la semaine dernière relatifs à l’affaire judiciaire actuellement soumise à la Cour suprême. Faut-il ou pas que les candidats à une élection au législatif aient la prérogative de décider s’ils doivent s’enregistrer auprès du commissaire électoral comme de simples Mauriciens ? Ou faut-il plutôt que les candidats déclinent leur appartenance à l’un des quatre groupes particuliers mentionnés dans le paragraphe 3 (Communities) du First Schedule [Section 31 (2)] de notre Constitution ?  Ou encore, pourraient-ils choisir entre les deux propositions ?

Pour comprendre pleinement l’existence de cette disposition concernant les quatre groupes communautaires de notre pays dans notre Constitution, il s’agit de la considérer sous son angle historique.

A – En 1967, les leaders politiques de Maurice ont invité le peuple à choisir entre une association avec la Grande-Bretagne (PMSD et partis associés) et l’indépendance du pays (PTr et partis associés). Aujourd’hui, avec le recul, on se rend compte que le deuxième choix – l’indépendance – était le meilleur ;

B – Avant les élections générales d’août 1967 qui ont décidé de l’indépendance de Maurice, les représentants du PMSD ont proposé à Seewoosagur Ramgoolam de faire tenir un référendum pour laisser le peuple souverain décider lui-même de l’adoption de notre Constitution, plutôt que de lui enlever cette tâche et d’en faire voter le texte seulement par des députés. Non seulement le Premier ministre d’alors a refusé ce référendum, mais il a demandé au Professeur De Smith de rédiger une Constitution où le processus du référendum pour le traitement des questions de grande importance pour le pays a été réduit à deux uniques « sections » (1 et 57 (e)) de celle-ci, dont l’une relative à la durée des législatures.

Si le PMSD a eu tort de mettre en avant une proposition d’association avec la puissance colonisatrice, il a par contre eu parfaitement raison de demander qu’un référendum pour l’adoption de notre Constitution se tienne. Cela n’aurait évidemment pas changé grand-chose à la suite des événements, mais il s’en allait d’une question de principe fondamental pour toute démocratie de type occidental.  

Il faut savoir, en effet, que les systèmes politiques européens – dont est issu notre propre système – qui étaient basés sur le droit divin ont été graduellement remplacés aux 17e et 18e siècles en Europe par d’autres fondés – tacitement, mais fondés quand même – sur un accord entre le peuple et ses représentants, dans lequel ces derniers s’engagent à gouverner le pays pour lui. Il existe toutefois dans beaucoup de systèmes des dispositions qui permettent au peuple de décider lui-même directement, par référendum, dans des circonstances exceptionnelles.

Aujourd’hui, en 2019, nous payons les conséquences de ce refus de S. Ramgoolam en 1967 d’accepter la requête du PMSD de faire endosser notre Constitution par le peuple. Au lieu de décider nous-mêmes, nous sommes dans une situation où quelques citoyens mauriciens ont soumis aux juges de notre Cour suprême une requête que ces derniers s’apprêtent à examiner, afin d’en décider, et pour communiquer ensuite leur opinion (sous quelle forme juridique ?) aux membres de notre appareil législatif pour leur « further consideration ».

Pour traiter de cette requête, le chef juge de la Cour suprême fait ressortir que l’île Maurice est signataire (depuis 1973) du « Pacte international relatif aux droits civils et politiques », un traité des Nations Unies par le biais duquel l’État mauricien s’est engagé à respecter et à garantir à tous les citoyens du pays des droits énumérés dans ledit pacte. Quels sont ces droits ?  Il s’agit essentiellement de ceux figurant dans la Charte des Nations Unies, soit la reconnaissance de la dignité humaine, des droits égaux mentionnés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, ainsi que des libertés civiles et politiques auxquelles a droit chaque humain.

Comme stipulé dans le pacte, l’humain doit pouvoir jouir de ces droits « sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. »

Nous posons simplement une question : la Cour suprême de Maurice est-elle compétente en matière d’interprétation de la Constitution du pays ?  A-t-elle le droit moral d’émettre un avis sur une question qui relève de la souveraineté du peuple ?  Dans la meilleure des circonstances, ne faudrait-il pas que ce soit lui (le peuple) qui décide en toute conscience d’une question aussi fondamentale, averti au préalable des conséquences de son vote pour notre pays, sur le plan international, de toute éventuelle modification de la Constitution ?

Nous estimons qu’un peuple mûr doit avoir les moyens de décider, de lui-même et pour son propre compte, de la formulation de certaines dispositions de sa loi fondamentale, et non pas avoir à se soumettre aux points de vue d’une instance judiciaire ne siégeant même pas à titre d’instance constitutionnelle.

Le peuple doit pouvoir s’exprimer dans deux circonstances :

1.  à l’occasion d’élections générales, en votant pour confier à ses représentants la gouvernance de son pays, et

2.  lors d’un changement de sa loi fondamentale. Il doit être capable d’utiliser le référendum, seule forme de démocratie directe à sa disposition, pour décider de manière souveraine de questions ayant trait à son identité et son avenir. Car c’est bien le contrat démocratique qu’il conclut avec ses représentants qui met en place et oriente l’exercice du pouvoir.

Si les députés qui nous dirigent voulaient faire preuve d’un vrai sens des responsabilités à notre égard, ils procéderaient comme suit :

  • À l’Assemblée nationale, ils voteraient à l’unanimité et dans les meilleurs délais une modification de notre Constitution permettant au peuple de décider lors d’un référendum de la question qui a été soumise à la Cour par Rezistans ek Alternativ ;
  • Ils prendraient des dispositions pour que ce référendum se tienne en même temps que les prochaines élections générales, ce qui serait d’une grande commodité.

C’est Jean-Jacques Rousseau qui disait, à propos de la démocratie représentative, que le peuple n’est souverain qu’un seul jour : le jour de l’élection. Dès le lendemain de cette élection, il n’est plus titulaire de sa souveraineté puisqu’il s’en est dessaisi au profit des représentants qu’il a élus. 

Devant si peu de pouvoir, faut-il qu’on enlève aussi au peuple souverain la prérogative de statuer dans quelles conditions exactes doit se dérouler la vie politique de son pays ?

Terminons avec une information qui intéressera nos lecteurs. L’application des droits de l’homme dans le monde est supposée être assurée par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, soit l’instance mise sur pied à la suite de la signature du Pacte international relatif aux droits civils et politiques en 1973 (voir ci-dessus). Ce Pacte international a servi de référence à la Cour suprême dans le passé, toujours pour le traitement de cette requête d’abolition de l’appartenance à une communauté particulière à Maurice.

Parmi les pays-membres qui siègent à ce Conseil pour l’année civile 2019 figurent des pays comme l’Arabie Saoudite, Bahreïn, la Chine, Cuba, la République du Congo, la Somalie et le Cameroun, qui piétinent allègrement les droits de l’homme et de la femme chez eux. À vous, lectrices et lecteurs, d’apprécier la valeur qu’attribuent ces chères Nations Unies aux droits de l’homme et du citoyen dans certaines de ses propres instances et dans certains de ses pays-membres !  Si cette situation n’est pas une farce, elle lui ressemble drôlement.

A. Jean-Claude Montocchio