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C’était en 1975.

L’année précédente avait été celle du boom sucrier, provoqué par le premier choc pétrolier d’octobre 1973, et les prix du sucre avaient flambé. Et malgré le contrat et le quota qui nous liaient à la CEE à l’époque, les quantités de sucre supplémentaires disponibles à la vente libre qui avaient été écoulées avaient amené une augmentation sensible des recettes du pays en exportations totales de sucre. 

Malgré cela, la valeur de nos importations pour l’année 1974 avait tellement grimpé que notre balance commerciale n’avait pas dégagé de surplus, ce qui pour un pays comme le nôtre, si dépendant des importations, n’était pas un bon signe. Comme chacun sait, hormis la main-d’œuvre, nos ressources locales sont dérisoires, avec le résultat que pour chaque roupie gagnée par un agent économique quelconque, environ 80 sous servaient à consommer des produits importés et repartaient donc de Maurice.

De plus, ces recettes sensiblement augmentées de 1974 provenant du sucre avaient été entièrement distribuées aux planteurs et aux usiniers du secteur sucrier.

Rencontrant un soir Seewoosagur Ramgoolam lors d’un cocktail au City Club de Port-Louis, je me suis avisé de l’approcher pour lui demander si, dans les circonstances, il n’aurait pas été préférable de retenir une partie, si faible soit-elle, desdites recettes sucrières pour investir les fonds ainsi récoltés dans des infrastructures, au lieu de distribuer intégralement des sommes qui serviraient inévitablement à favoriser davantage la consommation de biens de consommation dans le pays, et accroître le déficit commercial du pays.

Il m’a répondu tout simplement : « Less zot amise ! ».

La suite, on la connaît. Il a décrété l’éducation gratuite pour le secondaire un mois avant les élections de juin 1976 (ayant dû être informé que les élections seraient difficiles pour lui), et il a tenté de poursuivre, après ces élections, une politique budgétaire désastreuse axée sur la demande qui a abouti à la situation catastrophique que tous les Mauriciens ont dû affronter (impôts exorbitants, 2 dévaluations, baisse du pouvoir d’achat, réduction du PIB, augmentation massive du coût des produits importés, etc.) jusqu’en 1984.   

Il semble bien que nous soyons parvenus une nouvelle fois à cette croisée des chemins, tant elle ressemble à celle d’il y a 40 ans. Examinons-la.

  • La situation est loin de paraître préoccupante, du moins à première vue. Les salaires ont augmenté, certains impôts ont baissé, leur niveau général est très faible, le train de vie de la population ne baisse pas et, à part une fermeture d’usine par ci et des pertes d’un milliard par là, tout semble aller bien. C’est le « business as usual », pour ne pas dire « we never had it so good” ;
  • Toutefois, en allant un peu plus dans le détail, on découvre quand même des données assez inquiétantes, non pas pour l’immédiat, mais pour l’avenir ;
  • Ainsi, le déficit de notre balance commerciale s’enfonce dans une dimension structurelle : nous importons année après année en valeur le double de ce que nous exportons, notre coût de main-d’œuvre rend certaines de nos exportations très difficiles, notre épargne nationale a nettement baissé et, fait encore plus important, nous semblons avoir atteint une limite dans notre capacité à copier de l’étranger (ce que nous faisons depuis toujours) pour fabriquer chez nous, tant pour le marché local que pour les marchés d’exportation.
  • Dans cette conjoncture, nous dépendons de plus en plus du tourisme et des devises qu’il apporte pour payer les factures de nos importations ; sans lui, notre situation aurait été beaucoup plus délicate ;
  • Notre dette nationale approche des 70 % de notre PIB. Notre avenir, mais surtout celui de nos enfants, est ainsi de plus en plus hypothéqué. Car, pour que l’État rembourse ses dettes un jour, c’est le contribuable qui sera, qu’il le veuille ou non, mis à contribution. Mais comme le bon peuple a l’habitude de vivre dans le présent, pourquoi s’en préoccuperait-il ?

Comment en sommes-nous arrivés là ? Voici une série d’explications, par ordre de gravité :

  • Trouvez cinq minutes, asseyez-vous en face de vous-mêmes, et essayez de réfléchir à ce que tous les Mauriciens, sans exception, sont obligés de subir à cause de deux représentants de deux sous-castes des Vaish, de leur rivalité sans bornes et de tout ce qu’ils entreprennent, au détriment du pays, pour rester ou revenir au pouvoir ;
  • De leur part et de leurs parents respectifs, on trouve depuis cinq décennies du trafic d’influence, des abus de pouvoir, de la condescendance, du paternalisme abject, des politiques inappropriées et surtout, des octrois généreux de fonds aux votants pour acheter leurs voix. Ce qui est vraiment dramatique avec la dilapidation de fonds publics pour des gains de votes, c’est qu’il est extrêmement difficile après, d’un point de vue politique, de revenir en arrière ;
  • Pravind Jugnauth est devenu le double exact, le petit frère, le jumeau identique de Seewoosagur Ramgoolam : sa politique économique actuelle entraînée par la demande (demand-side economics) est en tous points semblable à celle menée de 1977 à 1982 par la paire S. Ramgoolam/V. Ringadoo ;
  • Le fil conducteur qui explique le comportement identique de ces deux individus à 40 ans d’intervalle est le suivant : la réduction d’impôts directs et indirects dans l’unique but de maintenir et/ou de gagner des parts de l’électorat lors des consultations populaires. Comme hier et avant-hier, il apparaît très clairement que c’est de loin la considération la plus importante guidant leurs initiatives et leurs politiques, bien avant la santé économique du pays ;
  • Pravind Jugnauth maintient sa politique dite de « duty-free island », accélératrice des importations et destinée à rendre les prix des articles aussi peu chers que possible.

C’est avec ce contexte en arrière-plan qu’apparaît subitement Père Nouell, précédé comme toujours de sa belle barbe blanche. ‘Ma banque à moi’, elle est vraiment polyvalente : et donc, même si elle est une institution bancaire, elle peut à l’occasion devenir et agir comme service-conseil. Mélange des genres ? Se retrouver comme juge d’une situation et partie prenante de cette même situation en même temps ? C’est possible à Maurice !

Notre institution bancaire s’est donc lancée dans une étude de la situation économique de Maurice, réalisée par des consultants étrangers qui n’ont de toute évidence qu’une connaissance élémentaire de Maurice et de ses habitants, dont le rapport traduit une partialité, une couverture limitée et un caractère spéculatif marquants.

Plusieurs questions se posent à ce propos :

  • Quelles ont été les réelles intentions de ‘ma banque à moi’ dans cet exercice ? Pouvaient-elles paraître ou être effectivement désintéressées ? Difficilement ! Si elles ne le sont pas, la crédibilité du message n’en est-elle pas affectée ?
  • L’approche aux analyses sur l’économie mauricienne de cette étude est typique de celle des experts-comptables : rapport à partir d’une photographie de certains aspects de l’économie mauricienne sur un période limitée. Il en résulte une vue de notre situation court-termiste et superficielle. Les causes profondes de notre évolution économique, pour déterminantes qu’elles sont, sont tout simplement absentes du texte.
  • Venons-en à l’erreur que l’on dénonce de plus en plus aujourd’hui dans ce type d’études : « l’économisme ». Tout n’est qu’économie : on commence avec elle, on s’y limite, et on propose des solutions purement économiques. Tous les autres aspects d’une situation donnée sont invisibles. Il aurait été élémentaire de se livrer à un examen des raisons économiques, sociales, politiques et psychologiques, lointaines et récentes, pour lesquelles la situation actuelle de Maurice est devenue comme elle est ? Une telle base aurait en fait été indispensable dans toute étude supposément solide.
  • Les consultants ne savaient-ils pas que si l’on veut promouvoir l’industrialisation plus avant de Maurice, de ce pays si dépendant des importations, il faut commencer par étudier la politique fiscale du pays, et en tout premier lieu la fiscalité afférente aux tarifs douaniers ? Le leur a-t-on dit ? En ont-ils eu conscience ? Le cas échéant, auraient-ils alors jugé inopportun de prendre le risque de (re)mettre en question la politique douanière pravindienne du pays ?
  • Quid de la politique relative à la promotion de l’épargne ? Et, du même coup, quid de celle de ‘ma banque à moi’ relative au niveau des intérêts à afficher pour les prêts aux entrepreneurs, petits et grands ? Le gouverneur de la Banque de Maurice pense-t-il que le ‘spread’ actuel pratiqué par l’une ou l’autre des banques commerciales est favorable à la poursuite du développement industriel du pays ? A-t-il communiqué avec l’Association des banquiers de Maurice à cet égard ? L’étude commanditée par ‘ma banque à moi’, dont le ton et le contenu sont très spéculatifs, n’en pipe pas un mot !

Maurice s’enfonce doucement, mais sûrement. Pour qu’elle puisse s’en sortir à terme, deux conditions de grande évidence s’imposent :

  • Elle doit impérativement se débarrasser des politiciens actuellement au pouvoir, qui l’entraînent dans une voie sans issue, sans que la majorité des citoyens en soient conscients. Tous les ténors de la politique locale, sans distinction, doivent être balayés et remplacés par de nouveaux leaders conscients de leur mission et de leurs devoirs envers le peuple, quitte à le faire évoluer dans un système illibéral à la singapourienne pour un certain temps, le temps d’éliminer le laxisme et la déchéance actuelles et de faire les citoyens comprendre comment l’on se comporte de manière disciplinée et responsable. Sans cela, nous continuerons à piétiner avec nos anachronismes, notre mièvrerie, notre candeur et notre amateurisme ;
  • Sur le plan économique, la seule et unique voie pour nous est de nous diriger de plus en plus vers des activités à plus forte valeur ajoutée. Il n’y a aucun autre moyen pour nous de nous en sortir. Ambitieux ? Bien sûr ! Mais ce qui fera le ‘lokal’ devenir beau, ce ne sont pas les activités orientées vers le local, ou si peu. L’avenir de Maurice se trouve dans les services orientés vers l’exportation, avec la contribution déterminante des technologies de l’information et de la communication (TIC). Ce n’est même pas une question de choix. L’avenir sera numérique, ou nous n’en aurons pas.

Aussi longtemps que nous ne réussirons pas dans ces deux tâches, il y aura de fortes chances que Père Nouell continue à apporter régulièrement dans son traîneau des milliards et des milliards de joujoux, toujours plus nombreux, pour les distribuer aux actionnaires locaux. Les bienheureux : pour eux, lokal is indeed beautiful !

Prochaine distribution programmée : celle que contiendra le budget à venir de notre grand ministre des Finances, juste avant les élections générales. Ça promet d’être généreux ! ‘Feel good factor’ garanti ! Comme disent les Anglais : ‘The more, the merrier !’

A. Jean-Claude Montocchio