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Chères lectrices, chers lecteurs,

Nous allons traiter cette semaine de l’archaïsme de la vie politique à Maurice, de ses causes et de ses conséquences néfastes pour le développement surtout moral, intellectuel et économique de la communauté dans son ensemble.

Commençons, si vous voulez bien, par délaisser pour une fois ce que nous voyons de la vie politique du pays tous les jours autour de nous, et tentons de voir ce qui peut se trouver derrière, en examinant le contexte et les événements courants sous l’angle culturel de notre vie communautaire. Cet exercice est fondamental, car c’est lui qui peut expliquer, dans une grande mesure, pourquoi plus de cinquante ans après notre indépendance, nous sommes toujours confrontés à des difficultés d’un autre âge et que notre pays continue à sombrer, implacablement, dans le désordre, le laxisme, la saleté, la laideur, la léthargie, l’insécurité, l’immoralité et beaucoup d’indifférence. Le degré atteint est même devenu préoccupant, car toutes les manifestations tangibles de ces points négatifs ne semblent plus nous interpeller.

Il en résulte une société qui projette une situation de blocage, qu’arrivent encore à sauver une coexistence et une tolérance surtout dues au pacifisme qu’inspire la culture hindoue, faut-il le reconnaître, malgré les contraintes qu’elle impose en même temps. Une légère émergence d’une culture typiquement locale, une fusion en quelque sorte, semble prendre forme graduellement, mais en cette année 2019, nous sommes encore loin du compte. En fait, les côtés contraignants de notre vie en commun deviennent de plus en plus apparents : en effet, une île multiculturelle ne vit pas seulement de coexistence, mais aussi et probablement surtout de compréhension réciproque, de tolérance, de respect mutuel et de civisme, sans lesquels les valeurs, les objectifs et le bien commun ne sont qu’un simple concept abstrait. La plupart des politiciens mauriciens ne les favorisent pas.

Disons-le sans ambages : la « cohabitation » de nos deux principales cultures – l’orientale et l’occidentale – est encore et toujours une source d’incompréhension, de difficultés et de retard dans l’avancement de notre vie politique. Examinons donc ce qu’il en est, avec franchise, discernement et transparence (des qualités qui nous manquent souvent), afin que nous en devenions vraiment conscients.

Pour ce faire, commençons par déterminer aussi précisément que possible les caractéristiques des principales cultures du monde. Rendez-vous pris avec l’institution considérée comme la plus étoffée en données dégagées d’évaluations régulières sur l’évolution des coutumes, des valeurs, et des croyances dans plus de 100 pays, la World Values Survey Association, basée à Stockholm (www.worldvaluessurvey.org).

En deux mots, elle nous montre qu’en Chine, en Inde et dans les pays musulmans, les populations adhèrent massivement aux « valeurs traditionnelles » (domination de l’homme, verticalité du pouvoir, hiérarchie dans la structure familiale et préséance de la communauté sur l’individu). De plus, la loyauté envers le groupe est considérée comme plus importante que la tolérance.

Dans les sociétés occidentales, les caractéristiques dominantes sont différentes : la raison s’est définitivement imposée il y a deux siècles, chaque personne doit s’accomplir à travers l’acquisition de valeurs individualistes et progressistes, et le relativisme et le pluralisme moral dominent de plus en plus largement la croyance ou l’idéologie. À Maurice, tenant compte du poids relatif de chaque communauté, admettons que les valeurs traditionnelles dominent toujours, du moins à première vue.

Pour les besoins de notre étude (qui ne résulte que de l’observation directe pendant plusieurs décennies), nous assimilons tous les membres de la « population générale » à la culture occidentale, si ce n’est qu’à cause de la forte perception qu’ont les membres de ce groupe de la place déterminante du sens du bien et du mal et du développement individuel, affirmé chez lui. Nous tenons aussi à l’esprit le fait que beaucoup de membres des communautés d’origine non-occidentale de Maurice sont maintenant acquis aux valeurs de la réalisation de soi, du développement d’un sens critique personnel affirmé et de l’appréciation objective de situations et de comportements donnés.

Le premier groupe, celui qui s’identifie aux groupes socio-culturels hindous, domine toujours la vie politique dans l’île de par son nombre important. Il est constitué en grande partie par ceux qui sont encore en quête d’une (meilleure) ascension sociale, mais aussi d’une petite partie des autres Mauriciens à optique courtermiste qui estiment qu’ils seront mieux lotis avec Jugnauth et Ramgoolam à la tête du pays qu’avec d’autres. Là se trouve le principal « fonds de commerce » de ces derniers en réserve d’électeurs.

L’attitude des leaders hindous envers cette frange de la population est le reflet typique de celle qui prévaut dans le sous-continent indien : le respect s’exprimant dans seul sens ‘bottom-up’, un pouvoir d’encaissement prononcé et une perception diffuse de l’ordre et de la rigueur. Le nombre de ceux qui à Maurice constituent cette réserve de voix semble être en diminution, mais aussi longtemps que leur poids dans un système de vote à majorité relative prévaudra, le pays dépendra de leurs sympathies politiques, que les quatre principaux leaders politiques et d’autres intérêts moins évidents ne veulent pas faire évoluer. Ainsi donc, l’on peut s’attendre que le poids de cet électorat continue à conditionner la vie politique pendant longtemps dans le pays – nous l’estimons à une génération, voire deux ou plus.

De leur côté, comme on le sait, les politiciens pratiquent le clientélisme à fond, car ils n’ont aucun intérêt à provoquer une évolution. En effet, dans les arcanes du gouvernement – législatif, exécutif, haute administration, direction des organismes para-gouvernementaux, roder boutt et autres parasites – nombreux sont ceux qui y perdraient. Chacun a son sens des priorités dans sa mission de service public.

Voyons quelques exemples du comportement de nos politiciens envers les mandants des différents bords culturels.

18 octobre 2017. Divali Night à Triolet, village où Navin Ramgoolam s’est fait battre à plate couture en décembre 2014. Il y est présent, et il règle ses comptes avec ceux qui l’ont éliminé. Les reproches pleuvent : les votants n’ont pas su se servir de leur « intelligence ». Avec l’éducation qu’ils ont reçue, ils auraient dû voter avec leur « esprit ». Ils sont des couillons, car ils ont en fait voté en quelque sorte contre ceux qui leur ont « donné » l’indépendance. Ils ont commis la grossière erreur de ne pas voter pour lui.

Pour ceux à Maurice qui se sont frottés aux valeurs occidentales et au respect de l’autre, de tels propos sont tout simplement ahurissants. Disons tout simplement que ce n’est pas le genre de discours qu’aurait pu se permettre aujourd’hui Xavier Duval à Roche-Bois.

Deuxième exemple : les récents comportements des Créoles à la route de La Brasserie, en raison de la non-fourniture d’eau à ceux de cet endroit. Commentaire de Pravind Jugnauth à ce propos : ce n’est pas une façon de faire. Ainsi, ce Premier ministre qui est le nôtre aura montré qu’il ne comprend même pas ce à quoi s’attend une partie de la population dont il a la charge, pour ainsi dire, et comment elle perçoit les choses. Il n’aura pas compris qu’elle s’attend à être traitée sur la base du respect réciproque, propre à la mentalité occidentale : une interruption de la canalisation de l’eau vers Forest-Side est intervenue, et le minimum auquel s’attendent ses habitants est que les responsables de ce service public communiquent comme il convient avec eux, dès le départ. Ils doivent se rendre sur place et expliquer la situation, car c’est ainsi qu’ils peuvent montrer qu’ils sont conscients de leurs devoirs envers ceux qui les font vivre.

Troisième exemple, extrêmement intéressant celui-là. Aujourd’hui, à Mont Choisy, Pravind Jugnauth s’est fait rabrouer à une cérémonie religieuse tamoule par les invités présents, qui ont exprimé leur désaccord au mélange de la religion et de la politique. Les Tamouls sont connus pour leur fierté et la place très ancienne qu’ils occupent dans la société mauricienne. L’objectivité et la mise au pas des politiciens opportunistes progresse dans l’île. Bravo pour ceux qui ne veulent pas que les Premiers ministres les utilisent pour booster leur futurs votes. « Pas fer politik lor ledo la kominoté ». Tout le pays et toutes les communautés, quelles qu’elles soient, devraient s’en inspirer… Et tous les politiciens indistinctement devraient tenir compte de cette considération !

Ajoutons une dernière observation. Les discours des politiciens à leurs sympathisants se passent toujours dans un seul sens (one-way, sans possibilité d’échanges) à leurs mandants, et les meetings publics ne consistent qu’à adresser des critiques sans aucune valeur intellectuelle à des opposants. La MBC, qui aurait pu constituer un outil commode pour les débats entre politiciens avertis et le public, ne s’aventurera jamais dans de tels exercices. Ils sont soigneusement évités, car ils montreraient combien certains politiciens sont intellectuellement pauvres. L’ariaz, dirait l’autre.

En tenant compte de la teneur de notre Constitution actuelle, nous reconnaissons et acceptons bien volontiers le fait que les Premiers ministres à venir seront des Hindous. Par contre, ce qu’il sera de plus en plus difficile d’accepter, c’est qu’ils continuent à être du faible calibre et de la modeste envergure de Jugnauth et de Ramgoolam.

Ainsi, pour donner un exemple, si le Parti travailliste devait continuer à jouer un rôle dans la vie politique du pays dans les prochaines années, il faudrait impérativement favoriser la présence d’Arvin Boolell à sa tête, et donc s’unir pour faire opposition à celui qui a voulu, avec la perfide aide de Bérenger, modifier notre droit constitutionnel pour s’octroyer d’importants pouvoirs « présidentiels ». En décembre 2014, l’île Maurice a failli verser dans un système éminemment risqué pour son avenir politique, avec un potentat à sa tête.

Pour résumer, nous n’avons vraiment pas eu de chance depuis 1968 avec nos leaders. Leur faible trempe, leur avidité déraisonnée du pouvoir et leur absence de courage à des moments cruciaux ne leur auront pas permis de donner l’exemple, d’imprimer un minimum de dynamisme et de motiver l’ensemble de la population dans une même direction vers un avenir meilleur. Pour cela, il aurait fallu réformer tout un cadre mental, et de ça, ils n’en ont même pas eu conscience. La communauté majoritaire possède depuis longtemps ses éléments indéniablement intelligents, compétents et éclairés, dont les talents pourraient contribuer valablement au développement national. Mais ils refusent, comme ceux d’autres communautés, de se tremper dans le cloaque de la vie politique de notre pays. C’est triste !

Quoi qu’il en soit, la situation évolue : les contraintes culturelles et morales à de multiples aspects de notre développement sont aujourd’hui de plus en plus apparentes et pénalisantes. Et sur le plan pratique, une prise de conscience grandissante va mettre un frein à des paternalismes d’un autre âge. Tout ce qui pénalise encore une véritable démocratie participative, le développement du sens critique, la sensibilisation aux principes et aux valeurs capables d’inspirer les jeunes et les moins jeunes dans la cité, et surtout et avant tout la méritocratie, va disparaître peu à peu, dépendant de l’évolution de la scène politique et de l’élimination de la « bande des quatre ». Le langage politiquement correct, qui a tant freiné l’acquisition d’une réelle liberté d’expression depuis l’indépendance disparaît déjà… Les réseaux sociaux à eux seuls en assureront l’élimination définitive.

Unissons nos forces et nos énergies, chères lectrices et chers lecteurs, par nos dispositions et nos efforts visant à apporter notre soutien et nos propositions à certains des nouveaux partis qui, fort heureusement, émergent. Dans ce phénomène de renouvellement du personnel politique se trouve, sans aucun doute, une grande partie d’un avenir meilleur pour nous et ceux qui seront là après nous.

A. Jean-Claude Montocchio